Manon Lescaut (Poche 460)

Le contexte historique et social de la Régence

La monarchie absolue, de droit divin se relâche en 1715 avec la mort de Louis 14 , elle durera toutefois jusqu'à la révolution (Mort de Louis 16)

 Avant la Régence : La monarchie pure et dure:

C'était une époque de despotisme.

- où l'Église et le Pouvoir avaient collaboré.

- où le droit chemin était défini par des principes, en effet, pour être honnête homme il suffisait d'accepter de vivre selon les principes en vigueur (le classicisme est un art de vivre à l'aise dans une société rigoureuse, morale et hiérarchisée)

- où le Bien était ce qui était raisonnable et où ce qui était raisonnable était ce qui était voulu par Dieu et le Roi

- où le Raisonnable s'opposait à la liberté et à la passion : la littérature orthodoxe ne cesse de montrer le danger des passions et de la liberté. (Mort de Don Juan, Mort de Phèdre, Morale des Fables de La Fontaine)

- où la littérature orthodoxe cherchait à "plaire et à instruire", ce qui signifie dans les faits : "séduire et manipuler" dans le but d'intégrer.

- où les courants de contestations étaient jugulés au point de paraître marginaux et secondaires et aussi peu présents qu'un magma. (Courant Baroque, Courant Libertin,Querelles entre jésuites et jansénistes autour de la casuistique,Querelles entre Anciens et Modernes)

Pendant : La Régence

C'est ce magma qui va profiter d'une faille : celle de la Régence, pour exploser. C'est cette explosion qui marque le changement de vie et de pensée du 18 ième siècle. Ceux qui avaient été opprimés s'expriment et imposent leur idées.

1) Les marginaux d'idées et de mœurs (les libertins) divulguent leur matérialisme, leur athéisme et leur Epicurisme :

Ils imposent l'idée d'une recherche primordiale du Bonheur terrestre ce qui destitue la promesse éventuelle du Paradis et la philosophie stoïcienne fondée sur l'idée d'une souffrance rédemptrice.

2) Ils refusent d'être déterminés et soumis à une puissance supérieure à eux : ils se veulent libres d'assumer leur vie et ils veulent chercher eux-mêmes les critères du Bien, du Mal, du Bon, du Juste, etc.

Ainsi tout va être mis à plat pour être vérifié : il faut faire la lumière, il faut trouver la Vérité. C'est le doute total, le scepticisme, et l'effervescence intellectuelle.

3) Ils refusent tout principe aliénant non rationnel : les dogmes, l'obscurantisme religieux, la tyrannie (despotisme), principes moraux, sociaux, politiques.

4) Ils refusent toute entrave à la Paix sentie comme un élément fondateur du Bonheur terrestre et reflet de l'intolérance : inadmissible dans un contexte de recherche, de relativité (racisme, fanatisme, traditions et idées reçues).

5) Ils n'admettent que deux seuls principes :

a) la foi dans le progrès : optimisme face à l'avenir

b) la foi en l'homme : confiance en la nature humaine

6) Ils conservent du siècle précédent

a) une langue ( le français moderne) propre à l'abstraction, langue qu'ils vont élaborer encore davantage.

b) une conception engagée de la littérature en tant que moyen de véhiculer des idées (conception humaniste)

c) un raisonnement cartésien : logique, clarté, preuve : c'est le rationalisme. (culte de la Raison : du mathématique)

(Cependant pour Descartes la Raison pure ( le bon sens) était perçue comme une vérité universelle, suprême, parfaite et attestait donc de la présence d'un Dieu : le Raisonnable était le divin, Dieu n'était pas compris dans l'Irrationnel, il était du domaine du rationnel ... tout à coup cette même Raison place Dieu dans l'irrationnel puisque son existence ne peut être prouvée et c'est au nom même de la Raison que la religion est ébranlée).

Les Excès

C'est à cause de cette violence due à un phénomène d'attrait pour l'interdit que des excès vont être commis :

1) La confusion s'installe entre Bonheur et Plaisir, entre Bonheur et confort. (aujourd'hui entre Bonheur et égocentrisme : cocooning)

cf. : le Mondain de Voltaire.

cf. : les peintures de Troy "le déjeuner d'huîtres", ou de Lancret "le déjeuner de jambon" laissent voir des scènes "immorales" voire "orgiaques".

On boit, on fume (la pipe) cf. : prix du tabac et position de l'Eglise face à l'herbe d'enfer).

On fréquente les salles de jeux, les cafés et les clubs privés

La mode vestimentaire est aux décolletés plongeants , aux wonderbras, aux vêtements amples et transparents. On souligne de bleu le tracé des veines sur les mains, parfois ailleurs...

Ces confusions posent

a) le problème de la définition du mot Luxe

b) le problème de la définition du mot Luxure ( correction/ débauche)

 2) L'argent devient une valeur essentielle pour accéder au "Bonheur" : tout devient possible pour arriver à en gagner : la triche comme le meurtre.

 3) Vivre c'est jouer : la frivolité devient la règle commune et le cynisme s'installe : c'est la dolce vita qui tourne parfois à la perversion :Les liaisons dangereuses ou aux sujets licencieux Les Bijoux. Et ce avec d'autant de facilité que l'athéisme se développe et que la casuistique jésuite excuse tout.

La Régence prend des airs de société décadente "Satiricon" de Pétrone.

La question des déportations

La Louisiane est alors une colonie française. Les colons réclament des femmes blanches. Après les départs des "laiderons", ce sont toutes les jeunes femmes nubiles hors la loi qui sont, entre 1717 et 1720, expatriées en Louisiane.

Certaines femmes se mutinent pour échapper à cet exil forcé et à cette atteinte à leur liberté.

Des slogans, dans les journaux, vantent de façon mensongère les mérites de la Louisiane, pays de l'or, du soleil et de la profusion.

La réalité y est tout autre : une zone marécageuse infestée de moustiques, chaude et humide, une centaine de baraques et un régime dictatorial.

 NB : la majorité des rois de France avait été fixée à 15 ans en 1220 puis à 14 ans en 1374.

La question du libertinage

Au 16 le mot "libertin" entre dans la langue ; il a alors le sens restreint de "indocile aux croyances religieuses". Il a pour étymon "libertinus" signifiant "affranchi", libéré. (même racine dans ville franche = ville libérée d'impôts)

Les libertins sont peu nombreux : ce sont des hérétiques qui préfèrent l'épicurisme au stoïcisme prêché par la morale judéo-chrétienne dont ils s'affranchissent. Ils cherchent le bonheur et les biens terrestres.

Au 17 ième siècle, la religion chrétienne catholique est dominante. Louis 14 établit une monarchie absolue de droit divin et gouverne avec le Cardinal de Richelieu.

Le libertin est un dissident à l'orthodoxie chrétienne ; c'est un libertin d'esprit, qui, par provocation, lance un défi à l'Eglise pour affirmer sa liberté. En ce sens libertin = mécréant, impie. cf. : Don Juan.

C'est aussi un dissident et un réfractaire à la morale sociale : il n'accepte pas que la société cherche à maîtriser ses instincts et établisse une scission entre le haut et le bas, entre Dieu et les hommes, entre la tête et le sexe, entre le cœur et la raison. Il refuse toute entrave à sa liberté, tout ce qui s'oppose à son envie de satisfaction immédiate. Sa seule règle est son plaisir. En cela libertin = amoral, pervers. cf. : marquis de Sade

C'est un dissident social ; il refuse d'être mal placé dans la hiérarchie. En ce sens libertin = hors la loi

C'est aussi un dissident, réfractaire aux idées esthétiques de l'époque, au classicisme. En ce sens libertin = baroque

Les philosophes, surtout après la Régence, ne sont plus en accord avec le libertinage : leur but étant d'instituer des lois collectives pour protéger l'intérêt collectif.

 

Approche

 

Cette œuvre est le 7 ième volume d'une œuvre intitulée Mémoires d'un homme de qualité que l'auteur,

François Prévost (1 avril 1697 - 25 Novembre 1763) a volontairement détaché de l'ensemble en lui donnant un titre particulier : Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut paru en 1731 et qui sera publié séparément, dès 1753 sous le titre de Manon Lescaut.

L'auteur est, certes, un abbé : il fut ordonné prêtre en 1726 après un noviciat commencé en 1717, mais il eut une vie très aventurière : il voyagea beaucoup, eu des maîtresses, des dettes, fit de la prison, dut s'exiler,et écrivit une œuvre importante dont la postérité ne gardera que Manon Lescaut.)

Il s'agit d'un texte narratif transcriptif : l'auteur raconte au lecteur de ses Mémoires, en narration ultérieure et chronologique, ce qu'un homme, M Des Grieux, lui a raconté : sa rocambolesque histoire d'amour.

L'œuvre offre de multiples intérêts :

1) Un intérêt documentaire : les héros sont deux libertins représentatifs d'une période très libertine de l'histoire de France qu'ils nous font revivre : La Régence de Philippe d'Orléans (Louis14 est mort, Louis 15 est mineur)

2) Des Grieux ressemble fort à l'auteur lui-même et l'œuvre prend ainsi l'allure d'une autobiographie astucieusement camouflée

3) Un intérêt émotionnel : C'est l'histoire d'une passion fatale. très "romantique" et celle d'une amitié virile (celle de Des Grieux et de Tiberge que la vie va séparer), ce qui explique le succès de cette œuvre au 18 ième mais aussi au 19 ième et de nos jours où la corruption et l'amour sont souvent mêlées. Les héros sont une catin et un fripon mais ils s'aiment et nous les aimons.

4) Un intérêt didactique : Rapport entre l'Argent et l'Amour

Rôle de l'argent (puissance et destruction) ? Argent et Bonheur. Force des passions. Valeur cathartique de la tragédie : Manon se repent !

5) Enfin intérêt symbolique : on retrouve la lutte entre le surmoi et le ça.

Manon : Un récit autobiographique

Antoine-François Prévost (1697/1763)

Les ressemblances entre l'auteur et Des Grieux

L'œuvre est si étroitement liée à la vie de l'auteur qu'il est difficile de distinguer la fiction et la vérité autobiographique, et ce d'autant plus que les "papiers" de Prévost ont été brûlés par son héritier.

On doit remarquer que :

1) il naît à Amiens (Amiens est aussi la ville de des Grieux),

il naît en 1697 (par recoupements on peut supposer que Des Grieux qui a 17 ans en 1715 est né la même année que lui).

2) c'est un homme de qualité (des signes extérieurs (surtout vestimentaires) établissent une connivence spontanée entre gens de la même classe sociale. La première rencontre de l'auteur et de Des Grieux est fondée sur cette connivence de classe.

3) il est orphelin de mère très jeune (Des Grieux ne parle jamais de sa mère)

4) il fait ses études chez les jésuites et à Amiens pis à Paris (Des Grieux aussi)

5) après un noviciat, il entre dans les ordres. (Prévost est abbé)

6) il a été un démon et un ange

Sa vie mouvementée est typique de celle d'un libertin athée du 18 ième bien que Prévost avait été ordonné prêtre en 1721. C'est une existence paradoxale qui mélange des options de vie que la morale, même avec la casuistique jésuite, a du mal à rendre compatibles : d'une côté la vie religieuse et de l'autre la vie mondaine avec la débauche, les délits, les femmes (Lenki), le luxe. Il y a une ressemblance étrange entre Lenki (Eckhart) et Manon.

7) Des Grieux tue dans un duel (interdit), Prévost tue en duel

8) l'un et l'autre font de la prison

9) ils ont des dettes et manquent d'argent

Et que :

10) le parti pris du "on m'a dit que" peut être soupçonné d'artifice.

11) le parti pris pour une structure apparente selon la vérité temporelle du récit (avant et après le souper)

12) le parti pris pour un récit en temps réel : durée de parole = temps de lecture.

Un Récit "classique"

Cette œuvre rappelle les grands principes de la littérature classique : il s'agit de plaire et d'instruire. En fait l'écriture est souvent séductrice et la vraie intention de l'auteur est de manipuler.

Par un procédé littéraire habile : le jeu du récit dans le récit, Prévost enrobe probablement son histoire personnelle.

Puis il affirme lui-même son intention didactique : "le public verra dans la conduite de Des Grieux un exemple terrible de la force des passions"

La Némésis interviendrait pour punir ceux qui ont pu troubler l'ordre public par une passion dévastatrice, ceux qui ont cru à l'amour humain au lieu de croire en l'amour de Dieu, ceux qui ont essayé de vivre selon leur ça. La catharsis fonctionne : le démon-Manon est éliminé comme dans une tragédie.

On retrouve le trio fatal : Une puissance maléfique, Manon, Des Grieux. C'est, semble-t-il, Dieu qui gagne : Manon meurt ; Des Grieux est condamné à l'insatisfaction éternelle : il perd son plaisir.

La structure chaotique de l'œuvre est due à l'affrontement de Dieu et de Manon.

L'œuvre combat le désordre dû aux passions humaines : le divertissement pascalien.

L'œuvre en apparence licencieuse a une portée tout à fait moralisante.

Un roman d'amour émouvant et tragique

 

Le récit ressemble à un roman d'amour.

 

I) Qu'est-ce qu'un roman ?

A l'origine, entre le 5° et le 8° siècle, le Roman est une langue parlée. C'est l'ensemble des dialectes résultant de l'évolution du latin argotique que les envahisseurs latins ont imposé sur le territoire de la Gaule.

Vers le 9° siècle le roman commence à s'écrire.

Vers le 11° siècle, Roman va désigner des œuvres en vers écrites en roman racontant des aventures par opposition à celles écrites en latin .

A partir du 14°siècle, l'appellation se généralise , aux œuvres en prose racontant des aventures guerrières ou sentimentales.

Au 16° siècle, lorsque le Français devient la langue officielle sur le territoire des Francs, un roman va désigner une œuvre d'imagination, en prose, assez longue, "romanesque".

 

II) Quels sont les critères qui définissent un Roman en tant que genre littéraire?

Ce genre littéraire, "réservé d'abord aux femmes et aux faibles d'esprit", dit Voltaire, parce qu'il fait appel à l'imagination - et donc manque de sérieux - se caractérise par plusieurs critères :

1) c'est une œuvre en prose, désignée par un titre, et d'une longueur normalisée par l'usage. Le contenu est découpé en chapitres et en parties.

2) il y a une intrigue : un synopsis et un schéma narratif

3) l'intrigue est située dans le temps et dans l'espace (décor, époque)

4) un dénouement de l'intrigue est promis à la fin au lecteur : le récit suit l'ordre logique du temps, (la chronologie), et progresse au fil des pages.

5) les actants sont essentiellement des personnages qui ont une psychologie. Ces personnages agissent en fonction de cette psychologie. C'est d'ailleurs leur comportement qui permet de définir leur psychologie.

6) le lecteur peut s'identifier aux héros.

7) l'histoire est racontée par un narrateur à un destinataire universel

8) le lecteur attend une réponse, une leçon, une vérification

III) Vérification de ces critères

On retrouve tous ces critères dans le récit de Des Grieux qui constitue à l'intérieur de l'œuvre un véritable roman, (il rappelle Tristan et Iseult, Roméo et Juliette, Love Story) à l'exception du narrateur qui est ici un locuteur et du destinataire qui est ici l'auteur lui-même.

En effet

-Le titre : il met l'accent sur le personnage principal,

 

- L'intrigue : le récit d'un amour : sa naissance, ses péripéties, sa fin. L'action est si importante que l'on peut parler même de récit picaresque. Les rebondissements sont systématiques.

L'actant de déséquilibre est très marqué : c'est la rencontre avec Manon: véritable virage dans l'existence.

- une époque : la Régence

- un lieu ( Amiens, Paris, La Louisiane)

- une chronologie : l'histoire progresse d'un début vers une fin.

- des personnages : ils ressemblent à des personnes : ils ont une psychologie très marquée.

- le procédé d'identification : il est facilité par le thème : l'amour : une passion facile à comprendre.

- une leçon : on peut tirer facilement de cette aventure une leçon.

 

IV) Ce roman est tragique :

C'est une tragédie de l'amour dans la mesure où Manon meurt.

Mais Des Grieux est aussi une victime.

La tragédie fonctionne à trois niveaux

1) Au premier niveau : celui du lecteur :

C'est Manon qui incarne la fatalité c'est-à-dire la puissance qui paralyse des Grieux et lui ôte son libre arbitre : c'est à cause d'elle que Des Grieux est détourné du droit chemin et comme possédé par cette femme qui fait figure de démon et qui l'a envoûté.. cf. p 158 " Je cédai à ses instances malgré les mouvements secrets de mon cœur qui semblaient me présager un catastrophe"

Des Grieux fait figure d'aveugle. cf. p 33 où son père lui dit: " Comment pouvez-vous vous aveugler jusqu'à ce point après ce que je vous ai raconté d'elle" ou p 35 quand Tiberge lui dit : " profitez de cette erreur de jeunesse pour ouvrir les yeux"

 2) Au deuxième niveau : celui de Des Grieux

Il se croit déterminé par une force supérieure : il parle de "fortune cruelle", de "destin" (p 186), il fait allusion à "Vénus et Fortune" (p 64)

Il évoque le Ciel ( p 39, 55, 63, 77,116, 130, 216,)

Il parle de "châtiment du ciel", de "glaive", de "frapper" (p 63,130,160 )

Pour lui, c'est l'amour qu'il porte à Manon qui semble le dominer :

Il parle de "fatale passion" (p 59,172)

C'est cette passion venue du Ciel qui a causé sa perte : il est tombé sous le coup d'une malédiction..

Du coup sa perception de l'univers est verticale : le Bien en haut et le Mal en bas. p 39 Des Grieux parle de "chute" de "précipice".

Il ne cesse de répéter "perfide Manon", "ingrate et parjure" et finalement il se maudit d'être forcé de l'aimer.

 3) au troisième niveau : celui de Manon

Manon n'a pas de libre arbitre : elle est conditionnée par une force qui l'oblige à agir : elle sait qu'elle fait souffrir Des Grieux mais elle n'y peut rien. cf. (p 150) "Il faut bien que je sois coupable puisque j'ai pu vous causer tant de malheur et d'émotions ; mais que le ciel me punisse si j'ai cru l'être, ou si j'ai pensé le devenir"

En fait la vraie passion de Manon est l'Argent. (elle ne l'aime pas en tant que tel mais parce qu'il est le moyen d'accéder au luxe, de satisfaire son ça.)

Poussée par cette soif d'argent, Manon est capable de tout, n'a aucune morale. Rien ne résiste à son besoin de vivre dans une couche sociale qui, au départ, n'était pas la sienne bien qu'elle sache lire ( p 143)

 Elle semble avoir commis l'ubris : échapper par l'argent à ses origines, échapper par l'argent au statut de médiocre. Elle sera victime de la Némésis qui opérera la catharsis finale.

Conclusion

Le factum est présent dans le récit

L'interprétation du personnage et le problème des responsabilités reposent sur le bref silence, son hésitation au moment de répondre à Des Grieux lors de leur première rencontre : où allait-elle ? Quel est l'intérêt qu'elle porte à Des Grieux?

La dimension tragique oblige à rapprocher cette œuvre des grandes tragédies classiques comme Phèdre.

 

Manon : un roman de mœurs.

 

A travers l'œuvre est retracée la vie d'une certaine classe sociale dans le Paris du 18 ième siècle.

C'est tout le mode de vie qui est retracé à travers des personnages-personnes qui font de l'œuvre un document historico-socio-géographique sur la Régence.

 On peut parler de réalisme à cause de la précision des détails qui participent à l'effet de vraisemblance.

 On note :

1) une réalité toponymique

- quartier Saint Denis (20)

- Rue de V (21)

- École de Théologie (40)

- Chaillot (46)

- Hôpital général (83)

- Rue saint André des arts ( 139)

- Café Féré ( 139)

- Pont Saint Michel (139)

- Porte de la comédie (140)

- Petit Châtelet (166)

- Opéra

- Saint Supplice

 

La ville de Paris a des airs de tripot : elle accueille une foule de jouisseurs, une pègre, sans foi ni loi, qui se vautre dans le luxe et dans la corruption.

 

2) une réalité économique

- un cadeau pour le frère à "deux cents pistoles " ( 1 pistole = 10 livres = 70 F )

- une rente du frère : quatre cent livres

- les emprunts chiffrés à Tiberge

- une rente de 60,000 F pour 10 ans

Les allusions à l'argent sont omniprésentes dans le récit.

 

3) un inventaire des métiers de l'époque

- cocher, valet, laquais, cuisinier, archer

 

4) une peinture du mode de vie corrompu

- p 50 et 64 les cambriolages et vol

- p52 : le jeu d'argent

- p111 : le travestissement de Manon en homme ( déguisement)

- p 78 : la prison

- p 98 et 110 : les 2 meurtres

- p 117 : les mensonges ( ceux à Tiberge, tous ceux de Manon)

- p125 : la filature

- p 145 : la prostitution

- p 179 l'attaque de la diligence

- p 94 : la fausse identité

-p110 : le règlement de compte

- cf. le problème des expulsions en Louisiane et des filles publiques.

Donc : une vie dure et souvent immorale où se rencontrent la luxure, le mensonge, la délation, la truanderie. Une vie fondée sur des principes qui choquent la morale commune : l'hypocrisie et l'infidélité sont des valeurs positives.

 

5) Une réalité psychologique

Toute action est faite dans le but d'obtenir une satisfaction : l'argent est un instrument : il n'est jamais sale. La conscience est très élastique cf. p62 "d'autres prêtres savent accorder une maîtresse avec un bénéfice ecclésiastique."

 L'apparence est une valeur importante : les personnages sont beaux en apparence et orduriers à l'intérieur d'eux-mêmes. Leur composante psychologique est avant tout le cynisme et l'hypocrisie.

Le langage est manipulateur : c'est par la parole que la tromperie fonctionne le mieux.

Le frère de Manon est le cas-type de cette période historique: c'est, à bien des égards, un voyou.

 

Manon le personnage

Elle est vénale : elle donne son corps pour vivre dans un monde de luxe : ce n'est pas l'argent qu'elle aime, c'est le bonheur matériel qu'il peut procurer.

Elle estime avoir le droit de se procurer ce bonheur comme elle l'entend. : son corps lui appartient, aimer, ce n'est pour elle que s'engager sur un sentiment.

Tout homme est pour elle une proie ( jeunes et vieux (le père et le fils ) : on peut penser qu'elle les escroque.

Elle a une conception particulière de la fidélité : "la fidélité que je souhaite de vous est une fidélité de cœur" (p 155).

Cette fidélité sentimentale n'a rien à voir avec le don de son corps. (Cf. Sandrine Bonnaire dans "Sans toit ni loi" "je suis propre dans ma tête"

L'aisance matérielle est la condition sine qua non à son amour sentimental : Elle dit : "Crois-tu que l'on puisse être bien tendre lorsqu'on manque de pain ?"( p 67)

 Elle partage volontiers cet argent avec l'homme qu'elle aime, elle est d'une générosité à toute épreuve : elle héberge son frère qui vit à ses crochets.

Elle agit pour le bonheur de celui qu'elle aime : elle envoie même pour distraire son amant, une de ses amies, la plus belle , afin qu'elle passe la nuit avec lui.

 Elle se sait "coupable" mais elle ne se sent pas "responsable" (p 150) "il faut bien que je sois coupable puisque j'ai pu vous causer tant de malheur et d'émotions ; mais que le ciel me punisse si j'ai cru l'être, ou si j'ai pensé le devenir"

Au moment de sa mort Manon se repent : "J'ai été légère et volage et même en vous aimant comme je l'ai toujours fait, je n'étais qu'une ingrate. Mais vous ne sauriez croire combien je suis changée" (200)

Difficile à juger dans le contexte d'une morale judéo-chrétienne dont elle bouleverse les principes.