Informations :

Ce cours théorique utilise de nombreuses ressources du Net. merci, le Net ! je suis au Net.

Globalement le plan correspond aux séances de travail, à partir des recherches et des questions demandées aux élèves. Il sert donc de réponse.

Il est à ce jour « expérimental ».

Comment va-t-il être transmis ? C'est encore une question...tant la réponse est assujettie

1) aux circontances opportunes.

Exemple :

J'ai un document sur " la cour"...j 'ai obtenu pas mal de documents de la part des élèves auxquels je demande de me rapporter tout ce qui peut se rapporter au " sujet", un film psse et " on " peut le voir...

Bref je pose une question : Qu'est-ce que le monde des courtisans ? Brain-storming ? appui sur les supports ? Qu'importe le flacon... ma préparation va ressortir " en gros".

2) au vocabulaire employé par les élèves. (les poncifs, les mots creux)

Je vais je pense avec plaisir démonter l'appellation " bon chic, bon genre" d'Oeuvre Classique.

antonyme ? baroque ! Ah oui ? Alors ?

Qui se souvient du sort de certains philosophes des Lumières qui ont critiqué les institutions ? La Bruyère a-t-il fui ?

Même chose pour "moraliste" ? La notion de Naturel chez les galants ? La mode ? L'honnête homme profondément malhonnête... et l'homme d'ESPRIT.

3) Improviser ...( avec des arrières solides). Jolie formule pour les danseurs.

4) Considérer les Caractères et autres créations littéraires comme des Oeuvres d'ART.

 

Jean de La Bruyère / Les Caractères

Les Moralistes et le Pouvoir.

Louis XIV en 1653... en toute simplicité.

 

 

Avant-dire

 

La langue des Caractères est trompeuse :de nombreux mots ont changé de sens.

Etre dans la familiarité : être intime

Être superbe :être orgueilleux

Etre curieux : prendre soin de

Être officieux :être serviable

Etre rustique :être grossier

Etre orné :être élégant

Etre au cabinet : être dans son « bureau »

Etre de son temps ; être de la même génération que quelqu'un

Avoir un engagement :avoir une liaison amoureuse

Avoir du cœur :avoir du courage

Agir avec emportement :agir avec conviction

Les domestiques : tous les gens de la maison

Les créatures :les domestiques

Etre honnête : être poli, courtois, civilisé, avoir domestiqué ses instincts

Le succès :le résultat

Les soins :les soucis

La simplicité :la bêtise

Les viandes :les mets

Un docteur : un savant

Un client :quelqu'un qui cherche un « patron »

Un patron :un protecteur

Agir par sentiment =agir par intuition

Le geste : le comportement

L'inquiétude :l'agitation

La République :l'Etat

S'avancer : réussir, s'élever

Tenir à : être de la famille de

Triste :sévère, grave

Mauvais :méchant

Féroce : fier

Traitable :supportable

 

I) L'Auteur

 

A) Ses origines

Jean La Bruyère (1645-1696) est issu d'une famille de la moyenne bourgeoisie parisienne, connaissant parfois des difficultés financières relatives.

Il étudie le droit pour devenir avocat.

Un héritage lui permet d'acheter une charge de trésorier des finances à Caen, charge qui vaut une vingtaine de mille livres, rapporte environ 2 350 livres par an, et confère en outre l'anoblissement; il se rend en Normandie pour son installation, puis, les formalités remplies, il retourne à Paris et ne parait plus à Caen. Il vend sa charge en 1686

Le physique de ce nouveau « parvenu » est ingrat mais il veut plaire (il s'essaie au chant, à la danse, il joue le « galant »). Voir : Le Bourgeois Gentilhomme : être et paraître.

Boileau, qui l'estimait pourtant, écrivait à Racine le 19 mai 1687 : « C'est un honnête homme, et à qui il ne manquerait rien si la nature l'avait fait aussi agréable qu'il a envie de l'être. Du reste, il a l'esprit, du savoir et du mérite. »

Il souffre toute sa vie de ne pouvoir se faire accepter tout à fait dans la société des "grands".

 

Encyclopédie de Diderot et d'Alembert

GALANT,

adj. pris subst. (Gramm.) ce mot vient de gal, qui d'abord signifie gaieté & réjouissance, ainsi qu'on le voit dans Alain Chartier & dans Froissard : on trouve même dans le roman de la rose, galandé, pour signifier orné, paré.

La belle fut bien atornée

Et d'un filet d'or galandée

Il est probable que le gala des Italiens & le galan des Espagnols, sont dérivés du mot gal, qui paroît originairement celtique ; de-là se forma insensiblement galant, qui signifie un homme empressé à plaire : ce mot reçut une signification plus noble dans les tems de chevalerie, où ce desir de plaire se signaloit par des combats. Se conduire galamment, se tirer d'affaire galamment, veut même encore dire, se conduire en homme de coeur. Un galant homme, chez les Anglois, signifie un homme de courage : en France, il veut dire de plus, un homme à nobles procédés. Un homme galant est tout autre chose qu'un galant homme ; celui-ci tient plus de l'honnête homme, celui-là se rapproche plus du petit-maître, de l'homme à bonnes fortunes. Etre galant, en général, c'est chercher à plaire par des soins agréables, par des empressemens flatteurs.

 

B) Précepteur chez les Condé puis Secrétaire

À 39 ans une illustre famille de la noblesse française : « Les Condé » lui accorde le rôle de précepteur. (Il est chargé d'apprendre au duc de Bourbon, petit-fils du grand Condé, l'histoire, la géographie, et la philosophie.)

La méchanceté de ces « Altesses à qui il était », et connue par les écrits de Saint-Simon : « Fils dénaturé, cruel père, mari terrible, maître détestable... », (tel était, d'après l'auteur des Mémoires, Henri-Jules de Bourbon, fils du grand Condé) et tel était son petit-fils, l'élève de La Bruyère,

« sa férocité, était extrême et se montrait en tout. C'était une meule toujours en l'air, qui faisait fuir devant elle, et dont ses amis n'étaient jamais en sûreté, tantôt par des insultes extrêmes, tantôt par des plaisanteries cruelles en face, et des chansons qu'il savait faire sur-le-champ. qui emportaient la pièce et qui ne s'effaçaient jamais [...] Il se sentait le fléau de son plus intime domestique. »

Il restera au service de cette famille en tant que secrétaire, (après le mariage du Duc de Bourbon avec la fille de Louis XIV) ce qui lui permettra d'observer le grand monde, jusqu'à sa mort subite le 11 mai 1696, à Versailles, provoquée par une attaque d'apoplexie.

Le récit de sa fin nous a été transmis par une lettre d'Antoine Bossuet, frère de l'évêque de Meaux :

« Il soupa avec appétit, et tout d'un coup il perdit la parole et sa bouche se tourna. M. Félix, M. Fagon, toute la médecine de la cour vint à son secours. Il montrait sa tête comme le siège de son mal. II eut quelque connaissance. Saignée, émétique, lavement de tabac, rien n'y fit [...]. C'est une perte pour nous tous; nous le regrettons sensiblement. »

 

C) La Bruyère et son temps

 

1) Le Classicisme sur fond Baroque

Le Classicisme est d'abord une théorie artistique qui définit les critères du Beau.

 

Ce qui est beau

- reprend les canons de l'Antiquité.

- ne choque pas (on parle de bienséances et de sens de la mesure),

- s'oppose au réalisme, à l'effusion sentimentale,

- vise l'universel, répugne au cas individuel.

- « tient debout » au sens propre : c'est-à-dire est équilibré, ordonné, rigoureux.

- Et « tient debout » au sens moral : c'est-à-dire n'est pas intuitif spontané, imprévisible (on parle de vraisemblance), mais est raisonné, calculé, logique, cartésien (on parle de Rationnel)

 

Les oeuvres classiques cherchent à plaire à l'homme afin de l'éduquer c'est-à-dire à l'intégrer dans le type de société que « l'honnête homme » soutient : celle de la Monarchie Absolue de droit divin.

 

C'est aussi une manière de vivre : celle des « honnêtes hommes » : c'est-à-dire un désir de vivre dans une société hiérarchisée et placée sous le signe d'une morale judéo-chrétienne.

 

Le Classicisme s'épanouit au cœur de la grande période des Arts Baroques : (de la fin du XVI e siècle à la Querelle des Bouffons (1753)

 

N.B : La notion de « Classique », définie a posteriori par Boileau, est désignée à l'époque romantique et en opposition à « Romantique ».

 

Des noms :Racine, La Bruyère Boileau La Fontaine Molière, Pascal, Descartes, Bossuet, Mme de la Fayette

Nicolas Poussin, Le Lorrain, Le Nôtre, Lully, Couperin, Rameau, Torelli (machinerie), Le Brun (décor) Deschamp (maître de ballet)

 

L'Art Baroque célèbre l'imagination, la liberté, la profusion et les sujets reniés par les classiques : mauvais genre et mauvais goût.

Les baroques aiment le naturel non domestiqué, l'inattendu, l'absence de loi, de système.

 

2) La Bruyère et l'art de vivre à la Cour

 

Définition de la Cour et du Courtisan

Encyclopédie de Diderot et d'Alembert

COUR,

(Histoire moderne & anc.) c'est toujours le lieu qu'habite un souverain ; elle est composée des princes, des princesses, des ministres, des grands, & des principaux officiers. Il n'est donc pas étonnant que ce soit le centre de la politesse d'une nation. La politesse y subsiste par l'égalité où l'extrême grandeur d'un seul y tient tous ceux qui l'environnent, & le goût y est raffiné par un usage continuel des superfluités de la fortune. Entre ces superfluités il se rencontre nécessairement des productions artificielles de la perfection la plus recherchée. La connoissance de cette perfection se répand sur d'autres objets beaucoup plus importans ; elle passe dans le langage, dans les jugemens, dans les sentimens, dans le maintien, dans les manieres, dans le ton, dans la plaisanterie, dans les ouvrages d'esprit, dans la galanterie ; dans les ajustemens, dans les moeurs mêmes. J'oserois presqu'assûrer qu'il n'y a point d'endroit où la délicatesse dans les procédés soit mieux connue, plus rigoureusement observée par les honnêtes gens, & plus finement affectée par les courtisans. L'auteur de l'esprit des lois définit l'air de cour, l'échange de sa grandeur naturelle contre une grandeur empruntée. Quoiqu'il en soit de cette définition, cet air, selon lui, est le vernis séduisant sous lequel se dérobent l'ambition dans l'oisiveté, la bassesse dans l'orgueil, le desir de s'enrichir sans travail, l'aversion pour la vérité, la flatterie, la trahison, la perfidie, l'abandon de tout engagement, le mépris des devoirs du citoyen, la crainte de la vertu du prince, l'espérance sur ses foiblesses, &c. en un mot la malhonnêteté avec tout son cortege, sous les dehors de l'honnêteté la plus vraie ; la réalité du vice toûjours derriere le fantôme de la vertu. Le défaut de succès fait seul dans ce pays donner aux actions le nom qu'elles méritent ; aussi n'y a-t-il que la mal-adresse qui y ait des remords.

 

COURTISAN, (Morale) que nous prenons ici adjectivement, & qu'il ne faut pas toûjours confondre avec homme de la cour ; c'est l'épithete que l'on donne à cette espece de gens que le malheur des rois & des peuples a placés entre les rois & la vérité, pour l'empêcher de parvenir jusqu'à eux, même lorsqu'ils sont expressement chargés de la leur faire connoître : le tyran imbécille écoute & aime ces sortes de gens ; le tyran habile s'en sert & les méprise ; le roi qui sait l'être, les chasse & les punit, & la vérité se montre alors ; car elle n'est jamais cachée que pour ceux qui ne la cherchent pas sincerement. J'ai dit qu'il ne falloit pas toûjours confondre courtisan avec homme de la cour, sur-tout lorsque courtisan est adjectif ; car je ne prétens point, dans cet article, faire la satire de ceux que le devoir ou la nécessité appellent auprès de la personne du prince : il seroit donc à souhaiter qu'on distinguât toûjours ces deux mots ; cependant l'usage est peut-être excusable de les confondre quelquefois, parce que souvent la nature les confond ; mais quelques exemples prouvent qu'on peut à la rigueur être homme de la cour sans être courtisan ; témoin M. de Montausier, qui desiroit si fort de ressembler au misantrope de Moliere, & qui en effet lui ressembloit assez. Au reste, il est encore plus aisé d'être misantrope à la cour, quand on n'y est pas courtisan, que d'y être simplement spectateur & philosophe ; la misantropie est même quelquefois un moyen d'y réussir, mais la philosophie y est presque toûjours déplacée & mal à son aise. Aristote finit par être mécontent d'Alexandre. Platon, à la cour de Denis, se reprochoit d'avoir été essuyer dans sa vieillesse les caprices d'un jeune tyran, & Diogene reprochoit à Aristippe de porter l'habit de courtisan sous le manteau de philosophe. En vain ce même Aristippe, qui se prosternoit aux piés de Denis, parce qu'il avoit, disoit-il, les oreilles aux piés, cherchoit à s'excuser d'habiter la cour, en disant que les philosophes doivent y aller plus qu'ailleurs, comme les medecins vont principalement chez les malades : on auroit pû lui répondre, que quand les maladies sont incurables & contagieuses, le medecin qui entreprend de les guérir ne fait que s'exposer à les gagner lui-même. Néanmoins (car nous ne voulons rien outrer) il faut peut-être qu'il y ait à la cour des philosophes, comme il faut qu'il y ait dans la république des lettres des professeurs en Arabe, pour y enseigner une langue que presque personne n'étudie, & qu'ils sont eux-mêmes en danger d'oublier, s'ils ne se la rappellent sans-cesse par un fréquent exercice.

 

L'apogée du classicisme correspond au règne personnel du Roi Soleil.

Il établit une Monarchie Absolue de droit divin, concrétisée par le rêve mégalomane de sa vie : le Château de Versailles où il s'installe en 1672.

Il y tient à sa portée tous les courtisans et les réduit à une sorte de « domesticité brillante » et contrôlée. Il s'y entoure aussi des plus illustres artistes.

À la mort de Mazarin (1661) - quand débute vraiment son règne - Louis XIV cherche sincèrement le bien et a le sentiment du devoir, se méfie des flatteurs.

Ensuite il cède à la flatterie et à l'orgueil.

 

La société française est hiérarchisée, selon un schéma pyramidal :

Dieu + Roi + Cour + province

Dieu + Roi + Aristocratie + Bourgeoisie + peuple

Dieu + Saints + Pape + Évêques + clergé

Le principe de base est l'obéissance, la soumission au supérieur

 

La France imite la cour, et la cour imite le roi. Pour affirmer son prestige, Louis XIV organise des fêtes somptueuses, danse la courante et le menuet et porte les Lettres et les Arts à un haut degré de perfection. (cf Cour 6, 14). La « Belle Danse » est copiée partout en Europe.

La mode sous le règne de Louis XIV :

La coiffure à la Fontange, et le manchon pour Madame ; la perruque in-folio pour Monsieur, et des mouches sur le visage pour tous les deux.

La Mouche : « Tache avantageuse », dans le langage précieux, était une petite pièce de taffetas ou de velours noir que l'on se collait sur la peau pour en faire ressortir la blancheur et l'éclat.

Le Littré écrit : « La première mention des mouches se trouve dans une pièce galante imprimée en 1655, DE LABORDE, Palais Mazarin, p. 318. De miroir en miroir.... Elle ôte et puis remet dix fois la même mouche, TH. CORN. Baron d'Albikrac, II, 1. »

 

Église et État sont à l'unisson pour gouverner et éditer un art de vivre en société qui préexiste et à l'enseignement chrétien et à la doctrine savante, autrement dit qui ne relève plus d'une autorité transcendante (Dieu ou les Anciens).

 

On pourrait s'attendre à une réaction violente d'opposition et de contestation contre le Pouvoir. C'est l'inverse qui se produit : la critique s'exerce dans le sens du maintien de l'ordre : c'est l'homme qui est fustigé et non le système.

La satire s'attaque à tous ses excès, à ses moeurs dissidentes pour l'amener à se plier aux lois, à s'intégrer dans le carcan social, à rester dans « la mesure ».

Elle a pour but de fabriquer un « honnête homme », « poli », (cf cour 10) qui se gardera d'être asocial par son comportement agressif et qui, au contraire, par la maîtrise de soi, par son sens de la mesure, par l'éclat de sa conversation et l'importance de sa culture, brillera dans les Salons.

 

 

Ainsi la critique vise tout homme qui attente à l'équilibre de la pyramide:

- soit en niant Dieu (attaque des libertins matérialistes, athées ou sceptiques, tels que Cyrano de Bergerac, Théophile de Viau, Gassendi…)

- soit en fraudant avec la hiérarchie (en usurpant un rang supérieur, en jouant à paraître (faux dévots, tartuffes)

- soit en dérogeant aux principes de l'honnête homme (cf. la morale des fables de la Fontaine, cf. les maximes de La Rochefoucauld, cf. le rôle cathartique des tragédies)

- soit en bouleversant les règles de la création classique (Les Baroques puis les Modernes)

 

Sachant que les critiques sont des « honnêtes hommes » à l'aise dans cette société, on comprend mieux leurs relations avec le Pouvoir :

La Bruyère, précepteur du Duc de Bourbon, Boileau : historiographe du Roi, Molière, à la cour de Versailles, Louis XIV parrain, La Fontaine (1er recueil dédié au Dauphin, 2e recueil dédié à Mme de Montespan (maîtresse de Louis XIV)

 

N.B : L'ébranlement de l'échafaudage la société chrétienne, (Dieu et la Monarchie Absolue), va résulter du Cartésianisme et la Critique de Raison Pure, à cause de leur fondement même : l'argumentation, le raisonnement, la démonstration et à cause de l'idée que la vérité ne correspond plus ni à une révélation divine ou mystique, ni à une croyance très ancienne. C'est par ce biais que s'annoncent les philosophes des Lumières, profondément en butte avec le Pouvoir, exilés, emprisonnés.

 

Conclusion :

La critique sociale de La Bruyère n'est pas une remise en question révolutionnaire de la société. Ce n'est pas un réformateur, un « précurseur de la Révolution française ».

Il accepte toutes les idées essentielles de son temps, il respecte les institutions en politique comme en religion.

Il n'en critique que certains abus et ceux qui l'atteignent personnellement.

On sent l'amertume de l'amour-propre blessé dans plusieurs textes du chapitre « Des Grands ».

Il affiche une forme de conservatisme : lors de la querelle des Anciens et des Modernes, La Bruyère prend parti pour les Anciens, défenseurs des valeurs de l'Antiquité et du classicisme.

 

Des témoignages sur la vie du sodomite Lulli (avant d'être francisé Lully), des essais sur la sexualité des prêtres, (cf. Marc Fumaroli &endash; « Le Poète et le Roi : Jean de La Fontaine en son siècle »), des fables de La Fontaine telles que « le Curé et le Mort », attestent comparativement que La Bruyère est d'une pudeur extrême ou ne s'attaque qu'à ce qui le gêne ou ment par omission.

 

Les Caractères sont générés par la rancœur et la jalousie de ne pas être vraiment parmi les « grands ».

La satire du « mensonge » procède elle-même de l'Art du mensonge.

 

D) Étude de l'œuvre : Les Caractères

C'est l'unique ouvrage célèbre de La Bruyère.

(Autres œuvres : Discours à l'Académie française (1693), Préface à ce discours (1694), Dialogues sur le quiétisme (posthume, 1699). Acad. fr. (1693).)

 

En 1688 La Bruyère publie une nouvelle traduction des « Caractères » de l'auteur grec Théophraste, un disciple d'Aristote.

Cette traduction est accompagnée d'une « suite », anonyme, publiée en caractères plus petits.

Il intitule l'ouvrage : Les Caractères de Théophraste, traduits du grec, avec les Caractères ou les Moeurs de ce siècle (1688)

 

 

Détail : La première édition des Caractères paraît en mars 1688, sous ce titre : les Caractères de Théophraste, traduits du grec, avec les caractères ou les moeurs de ce siècle, A Paris, chez Étienne Michallet, premier imprimeur du Roy, rue Saint-Jacques, à L'image Saint Paul. M. DC. LXXXVIII. Avec privilège de Sa Majesté, in-12.

Le nom da l'auteur ne figure sur aucune édition publiée de son vivant.

 

Dans la préface il stipule ses ambitions : « Il (le lecteur) peut regarder avec loisir ce portrait que j'ai fait de lui d'après nature, et s'il se connaît quelques-uns des défauts que je touche, s'en corriger. Il y en a une autre, et que j'ai intérêt que l'on veuille suivre, qui est de ne pas perdre mon titre de vue, et de penser toujours que ce sont les caractères ou les moeurs de ce siècle que je décris; car bien que je les tire souvent de la cour de France et des hommes de ma nation, on ne peut pas néanmoins les restreindre à une seule cour, ni les renfermer en un seul pays, sans que mon livre ne perde beaucoup de son étendue et de son utilité, ne s'écarte du plan que je me suis fait d'y peindre les hommes en général

 

C'est un succès. Il se fait peu d'ennemis.

 

Huit éditions se succèdent de 1688 jusqu'à celle, définitive et signée, de 1696, intitulée Les Caractères. Le texte de Théophraste a disparu.

À chaque édition viennent s'ajouter de nouveaux portraits écrits par La Bruyère. De 420 caractères, on passe à 1120.

 

Détail : Bien que cette première édition contînt surtout des maximes, et presque pas de portraits, le succès fut tout de suite très vif, et deux autres éditions parurent dans la même année 1688, sans que La Bruyère eût le temps de les augmenter notablement. En revanche, la 4e édition (1689) reçut plus de 350 caractères inédits; la cinquième (1690), plus de 150; la sixième (1691) et la septième (1692), près de 80 chacune; la huitième (1693), plus de 40, auxquels il faut ajouter le discours à l'Académie. Seule, la 9e édition (1696) qui parut quelques jours après la mort de La Bruyère, mais revue et corrigée par lui, ne contenait rien d'inédit. La vente de son ouvrage n'enrichit point La Bruyère, qui d'avance en avait destiné le produit à doter la fille de son libraire Michallet; cette dot fut de 100 000 F. environ, suivant certaines estimations, et de 2 à 300 000 F, suivant d'autres.

 

Grâce à ce succès, La Bruyère est élu (après deux échecs) à l'Académie française en 1693 : un honneur.

 

1) Structure de l'œuvre

 

Les Caractères se découpent en seize chapitres, «Des ouvrages de l'esprit», «Du mérite personnel», «Des femmes», «Du cœur», «De la société et de la conversation», «Des biens de fortune», «De la ville», «De la cour», «Des grands», «Du souverain et de la république», «De l'homme», «Des jugements», «De la mode», «De quelques usages», «De la chaire», «Des esprits forts».

 

C'est un catalogue : il n'y a pas de progression, voire de construction logique si ce n'est le classement par thème-rubrique.

 

La Bruyère, comparant son ouvrage avec celui de la Rochefoucauld et celui de Pascal, écrit ; « il est tout différent des deux autres que je viens de toucher : moins sublime que le premier et moins délicat que le second, il ne tend qu'à rendre l'homme raisonnable, mais par des voies simples et communes, et eu l'examinant indifféremment, sans beaucoup de méthode, et selon que les divers chapitres y conduisent par les âges, les sexes et les conditions, et par les voies, les faibles et le ridicule qui y sont attachés. »

 

La présence d'un Caractère dans le catalogue se justifie par l'un ou l'autre de ces critères :

a) c'est un défaut que La Bruyère a noté

b) c'est un bouclier dont La Bruyère se couvre.

Le chapitre des « Esprits forts » exprime sincèrement la foi chrétienne de La Bruyère ; mais il est aussi, une astuce (un mensonge ?) pour faire accepter la satire des puissants.

L'éloge de Louis XIV , dans le chapitre Du Souverain et de la République et la traduction de Théophraste, jouent aussi cette fonction de bouclier.

 

2) La variété des Caractères

 

Tous les « Caractères » sont des observations ou des réflexions sur les observations.

Mais la palette de moyens utilisés est très large.

 

a) Les maximes

C'est un genre à la mode dans les salons et prisées de l'élite.

La Bruyère n'innove pas. Il est complaisant au goût du jour. Il vise le succès.

Certaines maximes résonnent comme des proverbes.

 

b) Les réflexions

Ce sont des textes assez longs, argumentatifs, débouchant sur une « leçon ».

 

c) Les portraits

Les portraits sont des illustrations des réflexions et maximes.

Ils forment une galerie :

- qui témoigne d'une observation psychologique juste, pleine d'ironie caustique et amusante pour celui qui aime l'art de la médisance, le trait d'esprit.

- qui témoigne aussi d'un travail d'anthropologue fait à partir de notes, classifiées, regroupées afin de déterminer des spécimens humains.

- qui représente (comme au théâtre) des spécimens représentatifs de la Nature humaine.

 

Le portrait d'un spécimen plutôt que celui d'un individu particulier donne aux Caractères une portée encyclopédique et universelle.

C'est aussi une façon habile d'échapper à l'accusation d'avoir voulu peindre des personnes particulières.

 

Toutefois le lecteur de l'époque cherche à reconnaître des modèles existants.

Dans les Salons, on joue au Portrait-devinette dont l'usage remonte au XVIe siècle (voir début du Ballet Royal et figures au sol). On cherche la clé.

 

La Bruyère a protesté contre les « clés » qui révèlent l'identité des personnages

Pour lui, il n'y a pas de clés car les portraits résultent d'un processus de composition qui consiste à rassembler dans un « personnage représentatif » des traits épars appartenant à plusieurs personnages. (Ménalque, le Distrait.)

Pourtant quelques-unes semblent évidentes : Fontenelle dans Cydias, et le grand Condé dans AEmile.

 

d) Les petits dialogues (scénettes)

Typiquement théâtraux, ils passent pour la transcription « objective » de situations de communication.

 

e) Les anecdotes

Ce sont des récits proches du « fait-divers » apportant un témoignage réaliste.

 

f) Les questions

Le plus souvent sans réponse, car la réponse va de soi.

 

 

E) L'Art dans les Caractères

 

1) L'Art de la complicité

- Clin d'œil à l'élite à travers le fatras culturel gréco-latin qui sert de référence commune, à travers les étymons grecs qui construisent les noms propres ( Telephon = « la grande gueule ». ( La Bruyère étale ce savoir : il brille. (Voir les références)

- Incitation indirecte au jeu de la devinette.

- Actualité (plusieurs références à des faits d'actualité (Cour ex 38)

 

2) L'Art de dire

Les Caractères se présentent comme un recueil d'exercices de style.

 

Le style des Caractères est précis, finement ciselé et résulte d'un travail pour retranscrire les idées et les mots avec naturel et justesse mais aussi avec malice.

L'éclat du style permet à la satire d'être acceptée dans les salons.

 

a) La parataxe : (juxtaposition de phrases, sans lien de coordination ou de subordination). Au lecteur de retrouver les sous-entendus, le non-dit.

b) La prétérition art de dire sans dire)

c) Le sous-entendu et le non-

d) Le paradoxe - "Le sage guérit de l'ambition par l'ambition même".

e) L'accumulation :

f) Le jeu sur le rythme et les sonorités

g) La gradation : parents < amis < citoyens < chrétiens.

h) La litote : "L'honnête homme est celui qui ne vole pas sur les grands chemins, et qui ne tue personne...".

i) L 'hyperbole, grossissement de la réalité qui frappe l'imagination

j) La concision, la précision du langage

k) Le chiasme (nom-adjectif // adjectif, nom)

l) Le parallélisme

m) La Métaphore (parfois filée) et la comparaison « la robe et l'épée »

n) Les jeux de mots

o) L'antithèse et L'ironie

C'est le ton des Caractères qui se veulent piquants, cinglants, pamphlétaires.

C'est le ton de la satire pour dénoncer des défauts sur un mode séduisant.

 

« S'il est le moins philosophe des moralistes français, il en est assurément le plus littérateur. » (Paul Souday).

 

3) L'Art de la surprise

a) Les Caractères présentent une grande variété

dans le type

dans l'énonciation,

dans la longueur,

dans le registre

dans le sujet (individu et société, moral et physique)

dans la construction (grande diversité des incipits et des chutes)

 

Toutefois, le défaut dominant autour duquel s'organise le caractère transparaît soit en début, soit en fin. (jeu de l'énigme)

 

b) Les Caractères présentent une grande variété

dans les cibles de la satire : la critique sociale et politique d'une société de privilégiés :

satire

de la cour,

du clergé,

du roi

 

c) les Caractères présentent une multitudes de défauts humains

l'ingratitude

les injustices et inégalités (les privilèges du titre)

les excès et les ambiguïtés de l'église

l'intérêt, l'argent

la flagornerie

la rusticité (ignorance grossière des bienséances)

la brutalité

la vanité, etc.

 

La Bruyère reprend les défauts traités par Théophraste.

 

Ces défauts sont les qualités nécessaires pour « savoir la cour ». (ex Cour 2)

 

Dressez l'inventaire des défauts (observez les récurrences)

 

Le parti pris de La Bruyère pour une esthétique de la trouvaille et de la surprise permanente repose sur l'Esthétique baroque.

 

Dressez l'inventaire des variétés de Caractères

Exemples.

Des affirmations générales ( ex 1, 4)

Des proverbes/ maximes ( ex 9)

Des affirmations

- personnelles (utilisation d'un « je » ) (ex 3, ex 13)

- collectives utilisant le « nous »

avec des sens divers « nous, les hommes » ( ex 16) ; « nous les grands »(ex 23)

le « tu » (ex 37) , le « on »(ex

Des dialogues avec quelqu'un ( ex 2 Théagène, ex 8)

Des questions oratoires (sans réponse) ( ex 10)

Des commentaires sur des propos entendus (ex 7)

Des faits exposés ( ex 14)

Des portraits-devinettes (ex15)

 

4) La théâtralisation (voir De la Cour ex 99)

Le terme de "caractère" renvoie à une conception visuelle, théâtrale, de l'écriture :

La vision du moraliste est redevable à l'art du théâtre : la forme du caractère, la stylisation de personnages, l'art de la « mise en scène ».

Son regard est celui du « spectateur » d'une « Comédie humaine » qui se joue dans le décor de la Cour.

Les personnages de la cour vivent dans l'illusion théâtrale : ils sont en « représentation » ; ils sont fardés et portent des perruques.( cf le portrait de Théognis) : des marionnettes dans un castelet.

Ceux sont des Pamphiles « cf les Pamphiles sont-ils toujours comme sur un théâtre ? » (ex 50)

Les Caractères incitent à la lecture à haute voix.

 

5) L'universalité

 

La Bruyère est spectateur du « théâtre de l'univers ».

 

Les Caractères ont une portée encyclopédique, clinique :on peut parler d'Anthologie (au sens littéral de « recueil de fleurs ») (perles !)

 

Dans cette comédie humaine universelle, les acteurs sont des « spécimens » ayant une représentation et une portée universelles.

 

 

6) L'absence de système philosophique

Il n'y a aucun plan : l'œuvre s'est construite par ajouts successifs.

C'est une œuvre fragmentée, discontinue exposant plusieurs points de vue, trompeuse parfois pour les Caractères-Boucliers.

 

Il s'agit de saisir le monde dans sa profusion et dans ses nuances, dans un esprit paradoxalement très baroque.

 

7) Les canons classiques

 

Les Caractères satisfont de nombreux critères d'une œuvre classique :

 

- dépeindre les mœurs des représentants de ses contemporains.

- les corriger de leurs défauts

- atteindre l'universel

- séduire le lecteur

 

L'utile et l'Agréable : l'esthétique et la morale sont inséparables.

 

- travailler le style

«C'est un métier que de faire un livre comme une pendule (artisanat)».

- se référer aux modèles classiques

La Bruyère pense (comme Montaigne, Pascal et La Fontaine) que «tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent» et il pratique « l'Innutrition » ou méthode de « l'imitation créatrice » des Anciens (les auteurs de l'Antiquité).

 

F) Et la Morale du Moraliste ?

 

Les Caractères sont désignés comme œuvre d'un moraliste.

La Bruyère est à la fois moraliste et psychologue, et plus encore psychologue que moraliste, et l'on doit dire du XVIIe siècle qu'il est avant tout l'âge de la psychologie.

Mais était moraliste à cette époque tout auteur qui écrivait « sur les moeurs ».

Le thème dominant est la dénonciation du faux-semblant : l'Art du Paraître : la manie du masque et l'incapacité d'être vrai.

 

C'est aussi l'apologie du mérite personnel

Ce mérite personnel n'est pas reconnu dans cette société de « galants » dans laquelle le paraître est plus important que l'être. ( cf. Le Bourgeois Gentilhomme)

« L'homme de bien », porteurs de la vertu (la disposition à faire le bien) et du cœur a seul le droit aux honneurs.

La distinction « habile homme », « honnête homme » et « homme de bien » apparaissait chez Pascal qui distinguait trois ordres : l'ordre de la chair, l'ordre de l'esprit, et l'ordre de la vertu.

 

Conclusion

 

Une œuvre donc très contemporaine dans notre société de « look », de marques, d'argent.

Une œuvre artistique, universelle, éternelle ; un chef-d'oeuvre.

Une œuvre aux confins du Classicisme et du Baroque.

 

L'abbé d'Olivet constate la défaveur publique après la grande vogue qu'avaient eue les Caractères : il l'explique par la disparition de tous ceux qu'ils visaient : « La forme n'a pas suffi toute seule pour les sauver, dit-il, quoiqu'ils soient pleins de tours admirables et d'expressions heureuses, qui n'étaient pas dans notre langue auparavant. »

 

Montesquieu et Voltaire , puis Hugo, etc. s'attaqueront au Pouvoir : Les réactions du Pouvoir seront alors violentes.

 

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