Une rose au Paradis (Presses Pocket : 2081)

Approche

Fonctionnement de la Science-Fiction

Temps et Lieu

Humour

Références Bibliques

 

Approche

 

Une rose au paradis est un roman de Science-fiction écrit en 1981 par René Barjavel (1911-1985) un romancier qui s'est fait connaître par la science-fiction, un type d'écrit qui marque le 20° siècle depuis Jules Verne (1828-1905) en passant par Pierre Boule (La planète des singes 1963) et qui correspond à une réaction pessimiste face à l'évolution scientifique et technologique.

Il s'agit d'un texte narratif : le récit d'une expérience de sauvegarde de la vie terrestre dans un espace confiné et souterrain après la destruction de la Terre par la bombe atomique. Ce récit reprend un thème habituel chez Barjavel : celui de l'explosion planétaire et d'une nouvelle civilisation ( Ravage 1943 et La Nuit des Temps 1968), et se charge ici de nombreuses références bibliques.

La science-fiction est souvent déconsidérée, taxée de délire pas toujours littéraire. Elle reste un genre mineur. Une rose au paradis permettra de montrer comment fonctionne la science-fiction et comment à travers la fiction pure et simple apparaît une critique de l'époque d'écriture de l'œuvre. On verra aussi pourquoi l'œuvre de science-fiction vieillit.

Le fonctionnement de la SF

La SF suppose des événements qui se produisent à une époque future par rapport à la date de lecture mais cette époque, même si elle est fort éloignée du présent du lecteur , ne doit pas être totalement coupée de la réalité de ce moment-là.

La SF repose sur un décalage judicieux entre deux réalités :

--- une réalité dans laquelle le lecteur se reconnaît car il y retrouve des éléments de l'époque dans laquelle il vit

--- et une autre réalité imaginaire qui le dépayse mais dans laquelle existent des phénomènes toujours probables, envisageables, prévisibles par anticipation.

Quelle que soit l'époque choisie pour y situer les événements, elle doit être sur tous les plans (matériel, affectif, intellectuel, spirituel) relativement proche de l'époque du lecteur pour qu'il puisse opérer des comparaisons entre son époque et l'époque anticipée.

La SF est donc une anticipation rationnelle et logique du futur ; elle n'a rien d'un délire, elle s'oppose au fantastique puisqu'elle propose une explication scientifique à tout événement (alors que le fantastique laisse toujours un point d'interrogation).

D'ailleurs imaginer c'est fabriquer quelque chose qui n'existe pas à partir de choses qui existent.

La SF est donc paradoxalement fondée sur un effet de vraisemblance ou d'effet réaliste.

Cependant, l'effet de vraisemblance de la fiction romanesque traditionnelle (ce qui donne l'illusion du vrai) est doublé par un autre effet de vraisemblance (ce qui pourrait être vrai) provenant de ce qui peut logiquement exister à l'époque envisagée.

Le vraisemblable fonctionne donc à deux niveaux :

1) au niveau du "vraisemblable" connu

C'est celui que l'on rencontre dans tout type d'œuvres réalistes et dans les nouvelles : c'est celui qui donne à l'œuvre l'allure d'un fait divers.

a) les personnages-personnes :

ils ont une identité sociale :

- patronyme et prénom : Lucie et Henri Jonas

- âge : Henri, 28 ans (32) ; Lucie, 32 ans (27)

-profession : Lucie , V.R.P. en machine à tricoter (24) ; Henri, expert polyvalent (29), sorte d'ingénieur.

ils ont une identité physique

- (29)(30) portrait d'Henri : cheveux blonds, courts, clairsemés, yeux bleus

Jim est châtain, Jif est blonde (107)

- pour Lucie, cheveux rouges (32), bien en chair (35), yeux verts (42)

ils ont une identité psychologique

- pour Lucie, coquetterie (35) et déprime (27)

- pour Henri, compétence professionnelle (31), inexpérience sexuelle (32) : un homme qui s'est donné à de brillantes études. "dans son organisme c'était surtout son cerveau qui fonctionnait" (32)

ils sont connus par des détails très intimes :

leur nuit de rencontre (35), leur passé sexuel ( 32), leur tenue vestimentaire : robe rouge fleurie d'un tournesol, la sensibilité aux oignons (42)

ils éprouvent des sentiments humains éternels

la jalousie (pour Marguerite (114), l'ennui et le désœuvrement : Mme Jonas tricote sans fin, la gourmandise : l'un rêve de frise (102) l'autre d'œuf, la claustrophobie, la pudibonderie (les parents n'ont pas abordé les problèmes de sexualité avec les enfants), la honte devant l'inceste, l'amour maternel, la curiosité des enfants (118)

ils s'expriment dans leur langage au style direct : les dialogues participent à l'effet de vraisemblance.

 

b) le lieu de l'action

La France et la ville de Paris sont en toile de fond :

Pour la France : ses fleuves actuels : l'Allier , la Loire,

ses villes : La Charité (34) , Sète, Le Mans, Lille, Orléans (56), Laprugne (24) (peut-être inventé mais le nom connote un "bled")

Pour Paris : ses rues, ses places,

 

2) au niveau du vraisemblable par anticipation logique

C'est tout ce qui fait vrai puisqu'il paraît possible de pronostiquer qu'il en soit ainsi à l'époque future où se situe l'action.

a) l'époque des événements :

Elle n'est pas définie précisément dans Une rose au Paradis mais n'est pas trop éloignée du présent du lecteur (d'ailleurs même si elle avait été définie par une date précise, cette date aurait été purement imaginaire puisque elle est fonction de la rapidité de l'évolution et que ce paramètre n'est pas mesurable) : il y a possibilité d'identification avec les personnages, avec leur mode de vie, avec leur sentiments.

-- référence aux problèmes de l'avortement

-- référence aux problèmes nucléaires (51)

-- référence aux trusts : les lessives (52)

-- références aux problèmes écologiques : environnement (44) et pollution (46)

-- référence aux problème des pays en voie de développement ( 51)

-- référence aux grandes manifestations de 1968 et au phénomène hippy (49 et 68)

-- référence à la fête du travail du 1 er mai et à la C.G.T. (52)

-- référence à la spécialisation technologique

-- référence à l'unisexisme (49)

b) l'illusion de rationalisme

Un raisonnement logique vient justifier tout ce qui pourrait passer pour mystérieux, tout ce qui pourrait passer pour invraisemblable :

-- la contraception de Mme Jonas ( 120) (elle prenait la pilule mais par mesure de sécurité et à son insu un contraceptif lui était administré dans l'eau qu'elle utilisait)

-- l'analyse rigoureuse des conséquences et des solutions pour pallier l'inceste et le manque d'oxygène qui en découle

-- la justification du choix des époux Jonas par le fait que Lucie attendait des jumeaux et que ni l'un ni l'autre ne fumait

-- l'organisation du réveil des animaux et la réserve de sperme en cas de mort d'un mâle)

-- procédure de déblaiement de la cheminée d'évacuation

-- l'ignorance des concepts fournis par le dictionnaire

-- la confusion entre réalité et fiction : les fables de La Fontaine

Sans cesse sont supprimées les difficultés qui pourraient rendre incroyable, fantastique le monde nouveau qui est crée ; sans cesse des éléments raisonnés, rationnels viennent apporter des solutions à tout ce qui demande une explication pour être accepté.

 

c) les descriptions

Les choses résultant de la pure imagination sont décrites dans les menus détails :

-- description rigoureuse de l'Arche (97 et 101)

-- description du robot Marguerite (127)

-- description du coq (171)

 

d) les inventions verbales

la tayeuse-transformeuse (26) autogire (47) , métro-express (57)

amplirépétiteur (65)

le synthétiseur-analyseur (sainte-Anna)

Ces néologismes sont faciles à comprendre.

 

e) le personnage de M Gé.

C'est un personnage de l'époque future : il est hors du commun, même pour cette époque : il est le Tout-Puissant (96 100 120,157)) , "le roi des affaires, l'empereur de l'intelligence" (120), un dieu aux yeux du lecteur comme aux yeux des enfants qui ne comprennent pas toutes les raisons de ses pouvoirs : "Dieu est mort, je veux dire le vôtre" (157); c'est un personnage étrange cependant il garde bien des ressemblances avec un grand patron, il a des maisons, il vit dans le luxe et s'achète des femmes. Il est plus fort que les chefs d'Etat (84) dont il ridiculise les abris antinucléaires et se considère comme le capitaine de l'Arche, nécessaire pour pallier les incidents techniques éventuels. (84). Il est accusé d'être un dictateur, un cachottier (151)

Cette double appartenance à l'humain et au divin se retrouve dans sa mort et sa résurrection, dans son intelligence froide et dans sa sensibilité : il ne sauve que ce qui est nécessaire pour son expérience à l'exception d'une rose. Il fait mourir Silfrid, sa dernière femme.

C'est le personnage qui a imaginé et organisé la vie en huis clos, il semble avoir agi par humanisme pour ne pas laisser s'exterminer l'espèce humaine (79)

 

Temps et lieu dans Une rose au paradis

 

Dans un roman de SF le temps et le lieu sont forcément des repères imaginaires même s'ils sont donnés pour véridiques. L'un et l'autre n'existent que par anticipation comme existent demain et ailleurs.

De plus Barjavel utilise une narration chronologique mais lui fait subir des bouleversements.

Il est donc intéressant d'étudier le temps et le lieu dans cette œuvre.

A) le lieu

1) la réalité aérienne

C'est Paris. La ville a gardé ses toponymes et sa configuration habituelle (autoroute, ambulance, manifestation. p56). Un Paris dans lequel on se reconnaît malgré les nouveautés : autogire, métro-express, les voitures de pompier à 9 roues (46), les 60 étages des tours (43), les cabines directes (44). Un Paris situé dans une France identifiable par ses rivières : Allier, Loire, ses régions : Auvergne, ses villes : Sète, La Charité. Un Paris situé en tant que ville du globe : Henri revient de Sydney.

Ce lieu va subir une modification radicale et disparaître en tant que tel.

C'est le lieu initial de l'action.

Ce même lieu transformé sera le lieu final.

2) la réalité souterraine

C'est l'Arche : un huis-clos " enterré sous 3000 mètres de roches, de sable, d'acier et d'or " (83), " un navire qui n'a pas besoin d'équipage" (84), séparé de la surface par 21 portes de béton, d'eau et de 7 alliages d'acier (87). (la Terre fait 10000 km de diamètre)

C'est un cylindre d'acier de 120 mètres de haut de 30 mètres de diamètre (97), avec plusieurs étages qui rappelle l'Arche de Noé.

Bref un lieu parfaitement décrit.

La plupart des événements se déroulent dans ce lieu.

 

Arche Paris 1 Arche Paris 2

11 26 87 213 fin

Le schéma montre qu'ils s'y déroulent de manière alternative.

 

Il existe entre ces deux lieux une opposition naturelle : sur et sous. Cette opposition inverse la conception habituelle du Paradis et de l'Enfer. La surface de la Terre est devenue l'enfer, lieu des difficultés de vivre ; les entrailles de la Terre sont devenues un Paradis où tombent des poulets tout rôtis.

La fin du roman voit à nouveau s'inverser les rapports : l'Arche devient un lieu infernal et la surface de la Terre un Paradis.

 

B) le Temps

La durée du récit est très nettement marquée par des événements majeurs :

-- la rencontre de Lucie et Henri suivie de l'accouchement 9 mois plus tard. (88)

-- le jour J qui correspond au jour de l'accouchement

-- le jour F situé à 15 ans neuf mois, quatre jours trente deux minutes du jour J : c'est le jour de la faille dans le programme de survie : M. Gé révèle que Jif est enceinte et que l'expérience est compromise.(107)

-- la décision de Saint-Anna à 24 heures 0 minutes de ce jour F (123) ( une décision qui sera anticipée par l'assassinat de M. Gé et l'utilisation de la poignée rouge) et qui correspond à l'ouverture de l'Arche : jour S.

Avec ces informations il est facile de reconstituer la succession chronologique :

De 11 à 23 le récit couvre la période qui précède immédiatement F : Le "Mal" est fait ; un suspense règne sur la signification exacte du Mal qui n'est révélée qu'à la page 23.

De 24 à 41 a lieu un retour en arrière de 16 ans correspondant à la rencontre de Lucie et Henri : soit S - 16 a

De 41 à 58 les événements ont lieu neuf mois plus tard que la rencontre : c'est la manifestation des femmes enceintes :

soit S - 16 a + 9 m

De 56 à 87 a lieu un procédé de champ contre champ qui permet de raconter des événements simultanés : les deux rapts. Le chapitre 56 60 racontant le rapt de Mme Jonas est suivi par le chapitre 81 82 et est simultané avec le chapitre 60 63 suivi du chapitre 75 80 racontant le rapt de M. Jonas.

Ces événements ont lieu le soir de la manifestation et quelques minutes avant l'heure J .

De 90 à 96 nous sommes à J +14 a : il y a eu une rupture (ellipse) narrative et une accélération.

De 96 à 99 nous sommes à J + 16 , c'est le jour F.

De 100 à 213, le récit couvre une période de temps très courte : les deux journées environ qui précède le jour S : il y a là un ralenti narratif : cf. " ce jour-là " (100)

L'organisation du Temps est donc très complexe et correspond à une organisation cinématographique. Barjavel exploite la plupart des procédés permettant le traitement de la durée du récit.

Le jour J n'est pas déterminé précisément, il se situe dans un futur proche par rapport à la date d'écriture du roman si l'on s'en tient aux références multiples à l'époque des années 70.

C'est cette exploitation du temps qui fait l'un des intérêts de ce roman.

L'humour

Le récit est fait par un narrateur omniscient en focalisation externe, mais ce narrateur affiche un point de vue parfois humoristique ce qui produit une distance face aux événements.

L'humour apparaît sous plusieurs formes :

 

-- il vise essentiellement le personnage de Lucie :

(14) sa préférence pour son garçon

(35) son narcissisme primaire devant le miroir

(36) sa préparation pour passer à l'attaque du puceau

(42) sa gaieté de bonne femme épluchant les oignons

(49) elle est coincée dans la mêlée "comme du fromage contre une râpe tournante"

(101) le tricotage sans fin

(118) elle est jalouse de Marguerite

 

-- il vise les manifestants

(49)les tondus ont succédé aux chevelus

 

-- il vise les définitions du dictionnaire et son appellation (118)

Mais il est présent aussi :

dans les bruits du trou (158 : gros glouf),

dans les minauderies des adolescents qui se découvrent,

dans la sortie des poulets crus puis de la poule puis du coq puis de l'œuf,

dans les images que projette l'horloge ou dans les chansons qu'elle entonne,

dans la course au petit chapeau pour le robot, Marguerite.

les mons JiM = Masculin, JiF = Féminin

 

Il se rapproche d'un regard critique, satirique lorsqu'il s'agit :

de la mode unisexe,

des trusts de lessive

de la pollution (46)

mais reste amusé plus que dénonciateur.

Les références bibliques :

Jonaz : le livre de la jungle

M. Gé : allusion à Gaya ( la Terre)

L'Arche

Paradis : Eden

L'Inceste biblique