EXPLICATION INCIPIT DETHÉRÈSE RAQUIN

 

Au bout de la rue Guénégaud, lorsqu'on vient des quais, on trouve le passage du Pont-Neuf, une sorte de corridor étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine Ce passage a trente pas de long et deux de large ; il est pavé de dalles jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité âcre; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est noir de crasse Par les beaux jours d'été, quand un lourd soleil brûle les rues, une clarté blanchâtre tombe des vitres sales et traîne misérablement dans le passage Par les vilains jours d'hiver, par les matinées de brouillard, les vitres ne jettent que de la nuit sur les dalles gluantes, de la nuit salie et ignoble A gauche, se creusent des boutiques obscures, basses, écrasées, laissant échapper des souffles froids de caveau Il y a là des bouquinistes, des marchands de jouets d'enfant, des cartonniers, dont les étalages gris de poussière dorment vaguement dans l'ombre; les vitrines, faites de petits carreaux, moirent étrangement les marchandises de reflets verdâtres au-delà, derrière les étalages, les boutiques pleines de ténèbres sont autant de trous lugubres dans lesquels s'agitent des formes bizarres A droite, sur toute la longueur du passage, s'étend une muraille contre laquelle les boutiquiers d'en face ont plaqué d'étroites armoires; des objets sans nom, des marchandises oubliées là depuis vingt ans s'y étalent le long de minces planches peintes d'une horrible couleur brune Une marchande de bijoux faux s'est établie dans une des armoires; elle y vend des bagues de quinze sous, délicatement posées sur un lit de velours bleu, au fond d'une boîte en acajou Au-dessus du vitrage, la muraille monte, noire, grossièrement crépie, comme couverte d'une lèpre et toute couturée de cicatrices.
Zola : Thérèse Raquin

 

 

 

* CORRECTION Présentation : Incipit de Thérèse Raquin.

Introduction

 

1) DÉCRIRE RÉALISTEMENT LE LIEU

2) PROVOQUER CHEZ LE LECTEUR UN TROUBLE INDEFINI.

3) LA TRANSFIGURATION DU REEL PAR L'ART

 

LA DESCRIPTION DU LIEU

 

A) Une description naturaliste

Effets de réel : noms de lieu (" rue Guénégaud, passage du Pont Neuf, rue Mazarine, rue de Seine)

Précisions chiffrées: le lieu est mesuré (adjectifs numéraux) (" Ce passage a trente pas de long et deux de large ")

Précisions des détails : ( adjectifs de couleurs, de matières et de formes) ( adverbes)

Un lieu sans esthétique : : Rien n'est Beau : décor sordide, misérable, crasseux, étroit, humide (Zola insiste beaucoup sur cet aspect : " suant toujours une humidité âcre " ; " dalles gluantes ", où la lumière ne pénètre pas " Par les beaux jours d'été, quand un lourd soleil brûle les rues, une clarté blanchâtre tombe des vitres sales et traîne misérablement dans le passage Par les vilains jours d'hiver, par les matinées de brouillard, les vitres ne jettent que de la nuit sur les dalles gluantes, de la nuit salie et ignoble ")

Trajet logique du regard : ( indicateurs spatiaux) : il est intégralement exploré : le sol (des pavés), le plafond (un vitrage) ; les parois : des boutiques d'un côté, de l'autre des armoires, les différentes boutiques ; Zola est attentif aux couleurs, multiples ici.

Une visite guidée : " lorsqu'on vient des quais, on trouve " (pronom indéfini, verbes de déplacement) ; " à gauche ", " à droite " ; l'écrivain introduit son lecteur dans le décor et dans l'ouvrage.

DONC : tout est fait pour donner un effet de réel ; le lieu étant réel, les événements fictifs qui s'y déroulent sont gagnés par la contagion du réel.

 

B) L'ART DE CREER UN MALAISE

1) L'installation d'une atmosphère ÉTRANGE - se fait par :

1) Un regard subjectif

a) un lieu répugnant : Le narrateur utilise un vocabulaire avec de connotations péjoratives : répétitions d'adjectifs à suffixe péjoratif : " jaunâtre ", " blanchâtre ". et un vocabulaire évaluatif: des adjectifs sans objectivité (" une nuit salie et ignoble ", " des formes bizarres ", " horrible couleur brune ") ; des adverbes traduisant une opinion " misérablement " ; " étrangement ". et de nombreux mots appartenant au champ lexical de "bizarre" et e l'hétéroclite. (choses accumulées, dans un bric à brac de poubelle, ordures ...: énumération; accumulation : utilisation de la juxtaposition ,

- variétés des matières : eau, terre, air , bois, fer, pierre, verre, papier.

Ce lieu est laid et quelle que soit la saison : d'où les deux points de vue ( hiver, été) ; présence d'assonances en (é) : écoeurement, nausée

Vocabulaire familier : "crasse, ont plaqué"

Ce lieu est le domaine des apparences, du faux : vitrines faux bijoux... "objets sans nom" "une sorte de" corridor.

b) l'animation du lieu les personnifications sont multiples : " des boutiques obscures, basses, écrasées, laissant échapper des souffles froids de caveau " (les boutiques sont assimilées à des tombes) ; " la muraille monte, noire, grossièrement crépie, comme couverte d'une lèpre et toute couturée de cicatrices " : le mur est malade.

c) les symboles de mort : importance du champ lexical de la mort, de la maladie, de la déchéance : "gluant" détail de la marchande qui présente ses bijoux dans de petit cercueils… "caveau" "tombes" "corridor" ( mot à forte connotation) : sorte d'entrée dans le monde des morts... dans un univers menaçant.

d) les symboles du mal : absence de lumière, omniprésence de l'ombre, une certaine violence suggérée : " les cicatrices " (" sombre ", " les vitres ne jettent que de la nuit sur les dalles gluantes, de la nuit salie et ignoble ", " boutiques obscures ", " les boutiques pleines de ténèbres ") ; présence d'un mur : absence d'échappatoire.

e) les éléments fantastiques, ou lugubres : en raison de l'omniprésence des signes de mort, l'impression que ce lieu n'est peuplé que d'objets vivants (notamment avec les personnifications) et de fantômes : " derrière les étalages, les boutiques pleines de ténèbres sont autant de trous lugubres dans lesquels s'agitent des formes bizarres ". Mais aussi on y trouve les ingrédients du fantastique : l'obscurité, le gluant, le rampant...le fouillis., l'enchevêtrement.

Mais aussi un lieu qui dort.... suspectement et qui doit se réveiller...

f) le mélange entre l'attirance et la répulsion : lieu maudit ou lieu tabou : lieu qu'on devrait fuir et dans lequel on s'engage... avec frisson et plaisir.. .

 

C) TRANSFIGURATION DU REEL PAR L'ART

Faire du Beau avec du Laid : rendre artistique la laideur.

 

Conclusion : une description guère objective, emplie d'indices que le lecteur naïf ne comprendra pas toujours. Dans la préface, Zola se dit " scientifique avant tout " : est-il véritablement objectif ?

Cf le début de Roses à Crédit