Des contacts coquins

 

Ce groupement composé de 3 textes autobiographiques où le narrateur raconte un "contact coquin".

Quelles sont les circonstances matérielles du contact (lieu, comparses...)

Personnages

- Qui "touche"? (identifiez précisément ce personnage )

- Qui est "touché" ?(identifiez précisément ce personnage )

- Le contact est-il volontaire ?

- Quelle réaction provoque le contact ?

- Quel volume occupe dans le texte, le récit proprement dit du contact ?

- Le contact est-il un souvenir ?

- A quel temps est raconté le souvenir?

- Le contact révèle-t-il la personnalité du "toucheur" ? Déterminez-la.

FRANCHIR LE FOSSÉ

De connivence avec la Marquise de Merteuil, le Vicomte de Valmont a décidé de séduire la présidente de Tourvel, une femme dévote et fidèle. Après une promenade avec Madame de Tourvel il écrit ici à la Marquise.

J'ai dirigé sa promenade de manière qu'il s'est trouvé un fossé à franchir; et, quoique fort leste, elle est encore plus timide: vous jugez bien qu'une prude craint de sauter le fossé ! Il a fallu se confier à moi. J'ai tenu dans mes bras cette femme modeste. Nos préparatifs et le passage de ma vieille tante avaient fait rire aux éclats la folâtre dévote: mais, dès que je me fus emparé d'elle, par une adroite gaucherie, nos bras s'enlacèrent mutuellement. Je pressai son sein contre le mien; et, dans ce court intervalle, je sentis son cœur battre plus vite. L'aimable rougeur vint colorer son visage, et son modeste embarras m'apprit assez que son cœur avait palpité d'amour et non de crainte. Ma tante cependant s'y trompa et se mit à dire: «l'enfant a eu peur»; mais la charmante candeur de l'enfant ne lui permit pas le mensonge, et elle répondit naïvement: « Oh non, mais... » Ce seul mot m'a éclairé. Dès ce moment, le doux espoir a remplacé la cruelle inquiétude. J'aurai cette femme; je l'enlèverai au mari qui la profane: j'oserai la ravir au Dieu même qu'elle adore. Quel délice d'être tour à tour l'objet et le vainqueur de ses remords ! Loin de moi l'idée de détruire les préjugés qui l'assiègent, ! ils ajouteront à mon bonheur et à ma gloire. Qu'elle croie à la vertu, mais qu'elle me la sacrifie; que ses fautes l'épouvantent sans pouvoir l'arrêter; et qu'agitée de mille terreurs, elle ne puisse les oublier, les vaincre que dans mes bras. Qu'alors j'y consens, elle me dise: «Je t'adore»; elle seule, entre toutes les femmes, sera digne de prononcer ce mot. Je serai vraiment le Dieu qu'elle aura préféré.

P.A. Choderlos de Laclos (1741-1803) Les liaisons dangereuses (1782) ( Lettre VI )

 

Premier amour (Texte autobiographique)

Un voisin de la terre de Combourg était venu passer quelques jours au château avec sa femme, fort jolie. Je ne sais ce qui advint dans le village ; on courut à l'une des fenêtres de la grand'salle pour regarder. J'y arrivai le premier, l'étrangère se précipitait sur mes pas, je voulus lui céder la place et je me tournai vers elle ; elle me barra involontairement le chemin, et je me sentis pressé entre elle et la fenêtre. Je ne sus plus ce qui se passa autour de moi.

Dès ce moment, j'entrevis que d'aimer et d'être aimé d'une manière qui m'était inconnue, devait être la félicité suprême. Si j'avais fait ce que font les autres hommes, j'aurais bientôt appris les peines et les plaisirs de la passion dont je portais le germe; mais tout prenait en moi un caractère extraordinaire. L'ardeur de mon imagination, ma timidité, la solitude firent qu'au lieu de me jeter au-dehors, je me repliai sur moi-même; faute d'objet réel, j'invoquai par la puissance de mes vagues désirs un fantôme qui ne me quitta plus. Je ne sais si l'histoire du cœur humain offre un autre exemple de cette nature.

Je me composai donc une femme de toutes les femmes que j'avais vues : elle avait la taille, les cheveux et le sourire de l'étrangère qui m'avait pressé contre son sein ; je lui donnai les yeux de telle jeune fille du village, la fraîcheur de telle autre. Les portraits des grandes dames du temps de François 1er, de Henri IV et de Louis XIV, dont le salon était orné, m'avaient fourni d'autres traits, et j'avais dérobé des grâces jusqu'aux tableaux des Vierges suspendus dans les églises.

F.-R. de Chateaubriand (1768-1848) Mémoires d'outre-tombe (1830)

 

DANS LE TRAIN (Texte autobiographique : Jean, le narrateur, est le frère cadet de Frédie)

Le compartiment est à moitié vide. Trois personnes seulement occupent la banquette, en face de moi. Il s'agit d'une famille nombreuse, le père, anodin, défini par son pantalon râpé, la mère, dont les cheveux sont fourchus, la fille qui a mon âge et qui est tout en cils baissés. Ces gens-là s'accablent de mots fades, de « ma petite mère », de « ma chérie », de baisers dans le cou. La petite refuse un sandwich au jambon, puis un morceau de rosbif froid. Mijaurée ! Elle m'est antipathique malgré son chandail, tricoté par elle-même &emdash; les points sont inégaux et trahissent une main inexpérimentée &emdash; et percé par deux tout jeunes seins, qui, eux non plus, ne sont pas désagréables à regarder. Ils me font penser à ceux de la petite Bertine Barbelivien, ou encore à ceux de Madeleine de La Vergeraie, qui sont tout de même un peu plus gros déjà et qui sautent sous leurs corsages. Je toucherais bien, si c'était possible. Je ne sais pourquoi, mais j'ai envie de toucher ceux-ci par curiosité, vous savez, pour voir comment c'est fait, si ça résiste, comment c'est attaché. Attaché comme une joue sur un visage ou comme une pomme sur un pommier ? A la réflexion, je pense que cela tient des deux. Et, réflexion refaite, elle m'agace vraiment, cette petite que je ne peux pas m'empêcher de regarder, comme si elle avait quelque chose d'extraordinaire que je découvrirais aujourd'hui seulement. Elle m'agace, avec ses cils baissés, qu'elle relève par instants, laissant échapper un regard prompt, comme une ablette qui se faufile entre les roseaux. Je me lève et je vais me camper dans le couloir, face à la Beauce qui défile maintenant devant moi, qui se déroule comme une toile de Jouy jaune paille, imprimée de nielles et de coquelicots. Mais, lorsque Marie-Thérèse &emdash; c'est sa mère qui vient de l'appeler ainsi &emdash; descendra du train, à Chartres, je serai ravi de m'effacer pour la laisser passer, de m'effacer si mal qu'elle me frôlera de tout son corps et que je pourrai situer exactement l'endroit où se trouve la boucle de sa jarretelle, qui tient son bas de fil sous la jupe plissée.

Voilà, elle est partie, cette fille, et j'arpente le couloir. Il y en a d'autres, mais elles sont trop jeunes ou trop vieilles. On n'a pas envie de mordre dedans. Laissons cela. L'amour, comme dit Frédie, si c'est la même chose que l'amour de Dieu dont on nous rabâche les oreilles depuis des années, ça ne doit être encore qu'une fichue blague. Je rate l'échappée sur la pièce d'eau des Suisses. Zut !

Hervé-Bazin : Vipère au poing (1949)