La
Guitare (collection POINTS
R14)
Approche
Etude de la narration
Le personnage
Les lectures de l'uvre
Le thème du Noir
Les superstitions
Approche
Cette uvre intitulée La Guitare (avec
une majuscule - que l'édition de
référence ne reproduit pas - a
été écrite en 1957 (la même
année que Tanguy- et juste avant) par un
romancier d'origine espagnole, Michel del Castillo né
en 1933 à Madrid, d'un père français et
d'une mère espagnole. Il vient en France à
partir de 6 ans pour fuir la guerre civile. C'est la
deuxième uvre de cet écrivain: elle
n'est pas mentionnée dans Lagarde et Michard (p 835)
. Elle est dédicacée à deux amis et est
précédée d'un avant propos dans lequel
il souligne l'importance de cette uvre qui est "le
livre du désespoir absolu"(pl3). Une postface a
été rajoutée à l'uvre en
1973.
Castillo prétend hésiter à
reconnaître ce récit et déclare qu'il
appartient à son passé, qu'il a changé
en profondeur (p1 39). Il utilise "fable" et "conte " pour
désigner cette uvre (p1 39). Il pose le
problème de la relation entre le narrateur et
l'auteur (pl41) . Mais c'est surtout le pessimisme de
l'uvre et celui de la citation en exergue "on ne veut
jamais que son destin", qu'il tempère(pl49).
Il s'agit d'un récit : l'histoire d'une tranche de
vie d'un personnage difforme, de sa conception à sa
mort précoce (le main meurt sensiblement au
même âge où Castillo écrit ) qui
peut se résumer par cette citation : "un nain d'une
laideur monstrueuse cherche - mais en vain - à
atteindre le cur de ses frères" (pl3). Le
thème dominant est la difficulté d'exister due
aux disgrâces physiques. C'est un narrateur qui
s'adresse directement au lecteur par le biais d'un journal
intime et même le prend à parti, I'agresse :
les injonctions directes au lecteur sont très
fréquentes. Le ton est violent, la tonalité
tragique. Le narrateur a l'intention d'émouvoir le
lecteur. Il parle de cri (p1 3) poussé avant de
mourir (p24) .
Castillo appelle à l'indulgence pour avoir
poussé ce cri et parle "de défaillance"(p
13)
Castillo a choisi d'écrire "cette histoire parce
qu'elle (le) hantait et (qu'il) la trouvait significative (p
1 3), il affirme une intention didactique: "montrer qu'il
existe des hommes qui sont les victimes du destin" (pl3)
Mais le nain dit "que ce n'est pas un récit " (p23)
qu'il demande "l'attention et l'effort " que l'uvre
est une totale confession "je vais tout te dire " et qu'elle
est difficile " Tu ne me liras jamais comme je voudrais "(p1
8) mais aussi c'est peut-être l'histoire de chacun de
nous ("elle aurait pu être tienne, elle l'est
peut-être" (pl35) )
Il s'agit donc de comprendre ce qui explique toutes ces
contradictions .
Étude de la
narration
1 / Le présent du
narrateur
Il s'agit d'une narration intercalée; le
présent de l'écriture (instant avant la mort)
est intercalé avec passé des faits,
d'où l'alternance des temps de l'indicatif :
présent, imparfait , passé simple (p17
"vois-tu la Galice, maintenant?) (Mon père
était riche p25) (je naquis neuf mois après
p30).
Mais il s'agit aussi par moment d'une narration
simultanée: le présent des faits étant
simultané avec le moment de l'écriture (Il est
tard. La nuit tombe p24) (présent ponctuel) (p18 "Les
habitants de notre région sont très pauvres.
Cela t'étonne peut-être " ou ( p19 "les vaches
ruminent") (présent éternel). Le
mélange de ces deux types de narration est
caractéristique du journal intime et du dialogue.
2 / La focalisation
La focalisation est interne; les faits sont perçus
à travers le narrateur de façon tout à
fait subjective. Il y a une totale projection de
l'état d'âme du personnage sur son
environnement.
3 / La logique narrative
La narration est chronologique: les
événements sont racontés dans l'ordre
logique de leur déroulement mais la narration est
précédée d'un préambule: le
chapitre 1 qui permet de situer le personnage, le lieu de
l'action. Le lieu de l'action est présenté de
manière très précise, avec un
réalisme documentaire marqué, d'où la
présence de nombreux toponymes générant
le pittoresque.
L'époque est définie de manière
indirecte par l'âge du narrateur au moment du
récit; âge indiqué indirectement ou
directement dans le récit (p30 "tout petit enfant",
p33 "douze ans, p36 "quinze ans" " p 41 "dix-huit ans" (mort
du père) p41 " l'automne " de la même
année, p53 " cinq mois" à l'hôpital de
Vigo, p63 "j'avais atteint ma vingtième
année"( rencontre avec Jaïro), p80 "une
année passe vite" (l'année passée avec
Jaïro : donc le nain a 21 ans), p89 "l'automne
s'écoula", p98 " un peu avant Noël" ( mort de
Gaixa) ( p102 début de l'écriture du
récit), p104 " l'hiver", p108 " le printemps arriva"
p109 "à vingt et un ans", p113 "le jour de la
fête des eaux", (p91 "au mois de mai") il va avoir 22
ans. Il est né en septembre. p136 " depuis un an ma
guitare est morte" donc il va avoir 23 ans; c'est juillet
56. Donc (56 -23 = 33).
Remarquons que M. Castillo est né le 2 août
33
Il est également fait allusion au
téléphone(p46) et à "la vitre d'une
portière" (de coche) (p64) et à un poste de
T.S.F. (p59)
4 / Les variations de vitesse
narrative
Le récit commence à la page 25 .
Globalement on découvre que la durée du
récit est de:
18 ans de la page 25 à 43 = 18 pages: c'est le
chapitre 2
2 ans de la page 44 à 63 = 19 pages: c'est
quasiment le chapitre 3
1 an de la page 63 à 80 = 17 pages: ce sont les
chapitres 4 et 5
1 an de la page 80 à 135 = 55 pages: ce sont les
chapitres 6,7,8,9
1 an pour la page 136 = 1 page
L'analyse montre une accélération narrative
sur les 18 premières années (jusqu'à la
mort du père et la prise en charge du domaine) et sur
la dernière année ( année qui suit la
destruction de Linda).
A l'inverse on note à partir de la rencontre avec
Jaïro, jour de la découverte de la mer, un
ralentissement très marqué et qui se fait en
deux temps: l'un sur l'année passée avec
Jaïro (p63 à 80), l'autre sur l'année qui
suit le départ de Jaïro et qui correspond
à la préparation de la Fête des Eaux (
p80 à 135).
Arithmétiquement on constate des écarts
chiffrés très importants
18 pages /18 ans = 1
19 pages / 2 ans = 9,5
17 pages/1 an =17
55 pages / 1 an = 55
1 page / 1 an =1
L e rapport des variations est de l'ordre de 1 à
55 . Il y a une rupture nette dans le récit au moment
de la rencontre avec Jaïro que l'on peut
considérer comme l'actant de
déséquilibre d'une situation initiale et le
début proprement dit de l'histoire, ce que souligne
d'ailleurs le titre de l'uvre qui met l'accent sur la
guitare.
De plus il est à noter qu'un certain nombre de
journées occupe un place privilégiée
dans le récit et sont marquées par des
ralentissements narratifs plus ou moins importants: la
répartition de ces instants grossis est
signalée par des indicateurs temporels: "le jour"
(p30), "un jour " (p31)) (p33) (p61)ou "un soir"(p50) ou "ce
jour" (p41)(p81) ou "un matin"(p63)(p98) ou " la Fête
des Eaux" (p118).
Ces journées mémorables correspondent
à la mort de la mère, du père et de
Gaixa, à la séparation avec Jaïro et
à toutes les rencontres du nain avec le monde.
- La première rencontre fortuite a lieu (p31) avec
une servante de la maison.
- Le premier contact officiel avec le monde a lieu le
jour de la mort du père et de ses 18 ans (p41): elle
se réduit à une descente au "premier
étage". C'est le jour où il prend conscience
de sa laideur dans le regard des autres
- Un contact a lieu à distance du haut d'une
fenêtre (p46): c'est le jour où il annonce aux
villageois qu'il leur donne terre et maison.
- Un autre contact est constitué de quelques
sorties au grand jour qui sont accompagnées
d'insultes et de jets de pierres et qui entraîne le
résolution définitive de ne plus sortir
(p49)
- Un autre contact a lieu la même année,
c'est le jour où il décide "d'aller voir"
(p51), c'est le jour où il va être
défiguré par l'eau bouillante et devenir
"vraiment méchant".
- Une autre rencontre est fortuite : elle a lieu
lorsqu'il a 20 ans et qu'il revient de la ria (p61): c'est
le jour où il est lapidé. Cette épreuve
le conduit à décider de quitter Gaixa pour
réaliser son rêve: aller voir la mer.
Ce contact du nain avec le monde (p68) ne ressemble pas
aux précédents: d'une part il n'y a contact
qu'avec une seule personne: Jaïro ; d'autre part cette
rencontre est le début d'une relation humaine et
fructueuse. La rencontre avec Jaïro est exactement
placée au centre du récit .
- Un contact est longuement préparé pendant
deux ans: c'est la Fête des Eaux. Il se solde par un
échec et par la mort de Linda (p134).
- Le dernier contact est volontaire et
désespéré: le nain se rend au
cimetière pour déterrer un cadavre: il sait
qu'il y est attendu et qu'il sera lapidé et
tué.
La narration reproduit le fonctionnement même de la
mémoire laissant des "trous" liés à
l'ordinaire et mettant en évidence les traumatismes
du passé.
5 / Le schéma des tensions
p29 naissance sous le signe d'une MST (Maladie
Sexuellement Transmissible) génératrice de
malformations sur l'embryon.
p30 orphelin de mère vers 3 ans.
p31 premier rejets social avant 12 ans.
p36 orphelin de père à 18 ans
p46 statut de maître bafoué(Quasimodo)
p50 défiguré à 19 ans
p54 malédiction publique et lapidation( A mort !)
(riposte par la méchanceté)
p61 lapidation à 20 ans et décision de
partir voir la mer
p63 départ pour la mer
p68 rencontre avec Jaïro
p81 Linda est maîtrisée (21 ans)
p90 espoir de participer à la fête
p134 destruction de Linda
p136 mort du héros
Le
personnage et son évolution
Ce conte est essentiellement constitué par le
récit rétrospectif et chronologique de la vie
du héros par le héros lui-même, de
façon accélérée de -9 mois
à 18 ans, puis de façon plus
détaillée de 18 à 22 ans et enfin de
manière presque elliptique de 22 à 23 ans.
C'est donc sinon la vie d'un adolescent celle d'un tout
jeune homme, qui se termine par sa mort.
1) Identité sociale du personnage
Aucun patronyme, aucun prénom. Le personnage est
nommé par ces surnoms
(48)(p54)"Quasimodo"' ou (p30) " le monstre" ou par l'une
de ces disgrâces physiques: le bossu, le nain, le
boiteux ou "pauvre enfant" (p31) et (p43) par son
père et par le curé ou "mon bonhomme" (p33)par
son père. Lui, se nomme "le nain-qui-fait-peur"
(p64). Jaïro l'appelle par son prénom mais on ne
sait lequel (75)
C'est un fils de riche: son père possède
une "vingtaine de fermes et une centaine de barques de
pêche", "une fabrique de conserves" (p27). Le mobilier
de la maison et de la bibliothèque attestent de cette
aisance matérielle (p44)
Il appartient à un milieu croyant et religieux .
Son père "était croyant" mais s'il est
présenté comme un bon maître
généreux il n'empêche qu'il "faisait
l'amour" avec "les filles de la ferme"(p25), qu'il avait
fait un mariage d'argent: "ils avaient échangé
nom contre fortune"(p28), qu'il avait été
infidèle, volage et souvent absent (en voyage) (p29)
.
Sa mère aussi est "très pieuse"(p27). Elle
est issue de "la grande aristocratie" (p29) et a vécu
soumise à son mari qu'elle a eu le tort d'aimer. Elle
a "noyé son chagrin dans la prière et les
bonnes uvres"(p29)
Le héros naît d'une unique relation
sexuelle: "le premier et le dernier cadeau" (p29) du
père.
Il est confié à une nourrice et
délaissé par sa mère qui meurt
lorsqu'il a deux ans.(p30)
2) Identité physique
C'est une créature difforme. difforme.
Il mesure un mètre trente (p60) et (p67), il est
bossu (p60), il a les jambes courtes et enflées
(p60), n'a pas de dents (p60), bégaie, boite, a le
nez et la bouche de travers (p39), les "mains difformes"
(p67)
Il se dira "hideux", incapable de se regarder dans un
miroir surtout après avoir été
défiguré par une balafre rouge au visage
(p53)
3) Identité psychologique
Le récit peut se décomposer en
séquences selon les modifications du comportement et
du caractère du héros:
Séquence 1 de 0 à 18 ans : " Attendre et
espérer" (p36)
C'est un sentiment de frustration psychologique
douloureuse qui anime le Nain: Il est tenu à
l'écart, claustré mais ses attitudes sont
significatives d'un espoir en l'avenir: il colle son nez aux
vitres(p30) " regarde au loin"(p34). Il "rêve de
liberté" (p34) et souffre en silence. Il compense sa
réclusion par une grande activité onirique et
par la lecture(p33). Il croit "à la bonté des
hommes"(p35). Il garde l'espoir de s'expliquer et de montrer
qu'il a un cur.(p36) .
Séquence 2 à 18 ans : L'exclu
Le changement de séquence est dû à un
événement majeur: la mort du père qui a
pour conséquence de faire de lui le "maître" et
d'imposer les premières confrontations avec
l'extérieur.
Il prend conscience de sa différence (p41) et
découvre le sentiment de solitude lié a
l'exclusion et le poids du regard humain: "c'est par les
autres que j'ai compris que j'existais. C'est aussi par les
autres que j'ai compris que j'étais totalement,
absolument, irrémédiablement seul" (p42)
Il découvre que son infirmité lui
enlève toute possibilité d'être
obéi et respecté en tant que maître
(p45).
Il cherche à expliquer la situation, agit
raisonnablement avec pitié et indulgence: "je leur
parlai calmement, je les rassurai" , "j'essayais de leur
faire comprendre que, pas plus qu'eux de leur
pauvreté, je n'étais pas plus responsable de
ma laideur( p47)
Il tente d'acheter l'affection des métayers (p47)
en donnant leur maison. Il se rend à
l'évidence de l'échec de toutes ses tentatives
de bonne entente.
Séquence 3 à 1 8 ans: l'automne : La
frustration physique et le silence.
La sexualité s'éveille: elle se manifeste
par un regard nouveau sur le monde extérieur: "il
épie le jeu des nuages sur l'herbe mouillée"
(p49). Il demande que la fenêtre soit ouverte. Il
"soulage ses désirs" (50) par l'onanisme. Il prend
conscience d'un double besoin de contact "j'avais un
cur et un sexe" (p50).
C'est l'échec d'une escapade, la brûlure qui
en résulte et le séjour de cinq mois à
l'hôpital qui déclenche la séquence
suivante.
Séquence 4 à 18 ans et demi : La
méchanceté "c'est ce jour-là que je
devins méchant" (p54)
Il contraint les métayers à restituer leurs
maisons pour s'acquitter de leurs dettes. Il les prive de
travail. Il achète les femmes et les soumet à
ses désirs.
Il découvre la fascination qu'il peut exercer et
la double réaction d'attrait et de répulsion :
"elles rêvent toutes d'appartenir au monstre" (p55);
elles sont maintenant toutes à ses pieds.
Il entre dans la peau du monstre, il devient celui qu'on
croyait qu'il était: "je me mis à jouer le
rôle que les gens attendaient" (p56) . Il devient
vampire. Il alimente sa légende.
Séquence 5 entre 19 et 20 ans : Lassitude et
Vérité profonde
Une insatisfaction et une lassitude gagnent le Nain, ceci
est dû au décalage entre son être profond
et son masque social. "Je vivais dans l'ennui. Ma vie
s'écoulait dans l'univers factice où mes
proches m'avaient enfermé" (61). Le récit d'un
rêve récurrent témoigne de ce
décalage et d'un besoin de reconnaissance, de
beauté et d'amour (p59): un bonheur
symétriquement opposé à la
réalité. Une nouvelle lapidation va
déclencher la séquence suivante.
Séquence 6 à 20 ans
C'est la fuite: il réalise un fantasme de
jeunesse: voir la mer ce qui est pour lui une manière
de trouver "le repos" (p65). Il a dominé son
attachement à Gaixa au point d'arriver à se
séparer d'elle.
C'est au cours de ce séjour qu'il rencontre
Jaïro et retrouve une raison d'espérer.
Séquence 7 de 20 à 21 ans : Travail et
espoir
Il est devenu "quelque chose de nouveau" (p87). Il se
définit par l'expression : "un Rêveur": c'est
un homme qui a des pouvoirs. Un compromis entre les dieux,
les hommes et les artistes.
"Je travaillais" (p76) " J'étais sûr que la
guitare m'aiderait à convaincre les autres"
(p78).
Il a l'impression de jouer sa dernière carte: "Il
me fallait réussir. Linda était mon dernier
espoir" (p79)
Séquence 8 : A l'automne de ses 21 ans : Travail,
espoir, appréhension
Le départ de Jaïro a laissé un "vide "
qu'il lui est "impossible de combler". Toutefois le travail
et l'espoir sont toujours présents :"Jour et nuit, je
travaillais... les larmes aux yeux, soutenu par l'espoir de
mon succès.(p90)"
Son ennui et ses moments d'espoir s'expriment par la
musique. (p90).
L'inquiétude grandit d'autant plus que se
rapproche la date fatidique de la Fête des Eaux : ce
nouveau contact, le troisième important pour lui
(p88)
Les sentiments sont poussés à leur
paroxysme: "il m'arrivait de sourire de bonheur ou de
crisper mes muscles en une tension surnaturelle" (p90)
Même la musique est soumise à la fureur: "
c'était avec une sorte de rage méprisante. . .
"(p90)
Il se prépare à affronter la Fête des
Eaux comme un combat dont il veut la victoire (p91)
Il découvre Gaixa: "elle m'apparaissait tout
à coup pour ce qu'elle était: un être
humain" (96), "une complice" (p97) mais cette
découverte est concomitante avec la mort de
Gaixa.
Séquence 9 : Après Noël : Solitude
totale et rage
Sans Gaixa, l'impression de solitude tourne à
l'obsession (p101)
La méchanceté redouble :(p103) . Elle
devient pure cruauté . La violence décuple de
part et d'autre (p103).
Il devient jaloux de la joie des autres (p104). Il
ressent l'envie de tuer (p105)
Son cur est fermé à toute
générosité (p104)
Il n'a plus de relation physique avec les femmes "qui ne
l'intéressent plus" (p1 06)
Il est à nouveau le monstre mais sous une forme
plus perverse. Il commence à écrire son
histoire.
Séquence 10 au printemps : L'embellie et
l'euphorie
"le temps semblait propice à tous les renouveaux
et à tous les espoirs" (p109)
Il "découvre l'existence" (p109)
Il oublie sa laideur, le sentiment de solitude
disparaît (p110).
Il élucubre des projets de
générosité.
Il cesse de persécuter, de "terrifier filles et
garçons" (p111)
Séquence 11 le jour J : Lassitude et dernier
degré de la douleur
L'instant tant attendu, celui du défi et de la
victoire, vécu maintes fois par l'imagination, est,
dans la réalité du vécu, totalement
différent .
"Or ce que je ressentais c'était ma lassitude. Je
n'étais ni anxieux ni impatient, ni effrayé.
Simplement fatigué"(p123)
Un sentiment d'inutilité a gagné le Nain "
il n'est pas de message sauveur" (p1 24)
Se résigner paraît alors une solution:
"N'aurais-je pas mieux fait de vivre en acceptant?"
(p124)
Il comprend "qu'on n'échappe jamais à son
destin" (p126)
Séquence 12 de 22 à 23 ans: après
l'échec L'agonie
Le pire s'étant produit: la destruction de Linda,
seule hypothèse non envisagée, parce que
insoutenable. Il n'y a plus d'espoir de vie possible. Le
Nain attend la mort. Il est redevenu le monstre. Il termine
d'écrire son récit.
Séquence 13 La mort
Il marche au devant de la mort avec l'espoir de mourir
plus défiguré qu'il ne l'est.
Conclusion
Une évolution psychologique intéressante
à analyser à cause de la logique
d'enchaînement et de la diversité des
états. L'accélération des changements
est très marquée à partir des dix-huit
ans et s'accroît encore à partir du voyage
à la mer. Cette accélération est
inversement proportionnelle au ralenti narratif.
Les lectures de
l'uvre
1) Ambiguïté
L'uvre n'est pas un roman, a la longueur d'une
nouvelle mais n'en a pas la focalisation, n'est pas un
testament autobiographique: Castillo est loin d'être
laid et nain.
C'est en apparence un journal intime dans lequel le
narrateur-personne écrit à un lecteur p18"
mauvais lecteur" ce qu'il a envie de dire p23 " Maintenant
écoute-moi bien, j'ai à te parler" .
D'ailleurs le texte accumule les indices de fonction
interpellative comme si le destinataire était
présent p19 "Cela t'étonne ?" p17 " Vois-tu la
Galice, maintenant" Le narrateur affirme la
réalité de son existence p112 et se
défend d'être pris pour un personnage de
conte.
2) Premières interprétations
a) Intention d'émouvoir : L'histoire tragique et
émouvante d'un indigent massacré par la
cruauté des gens.
b) Intention d'instruire : Un document historico-social
sur La Galice dans les années 30:
société encore moyenâgeuse à bien
des égards. Le vocabulaire est souvent pittoresque "
la gaita (p21), les rias (p17), la morrina (p21), ses
superstitions et ses rites.
Ces lectures ne semblent pas satisfaisantes
L'uvre a l'air d'un conte : d'ailleurs c'est l'un
des termes employé par Castillo pour la nommer p139
"questionner ce conte". Il emploie également le terme
de "fable". Ces deux appellations ont en commun
l'idée d'invention et l'idée de message, de
portée philosophique, de sens caché,
symbolique.
Le conte est proche du rêve.
De plus un certain nombre d'éléments
apparentent cette uvre à un conte :
- Les personnages pourraient évoluer dans un
conte:
Le héros est un gnome dans la tradition de Peau
d'âne, de Quasimodo, E.T, des Sept petits nains: il
accumule toutes les disgrâces: édenté
(p103), bègue, boiteux, nez et bouche de travers,
syphilitique, nain, balafré (p39), bossu. Il
deviendra un monstre pervers, violeur,vampire. Il n'a pas de
nom mais un surnom . Il est orphelin. C'est un enfant. Il a
une nourrice( p30). Gaixa est une sorcière
taxée de pouvoirs occultes: elle maudit (p38) elle a
des yeux de chat (p32). Jaïro appartient aux gens du
voyage: c'est un gitan (p68), sa guitare est un instrument
magique.
- L'univers est manichéen. Les bons s'y opposent
aux mauvais.
- Il y a un objets magique. La guitare fait fonction de
baguette magique. Jaïro initie le Nain. Le Nain pensait
charmer les villageois.(p76, 77). La guitare porte un nom
qui est symbolique: Linda c'est la clarté, la
pureté, la propreté. Elle est assimilable
à une personne (p70).
- Le schéma des tensions est parallèle
à celui d'un conte (suite d'espoirs et de
désespoirs).
- Il y a en outre des éléments
conventionnels des contes : le chat (p45), la marmite (p52),
la forêt, la brume et le brouillard, la lune (p39),
les ténèbres, le cimetière, la lande
(p124)
Il y a un parcours symbolique : la marche vers la mer, la
marche vers les hommes, le chemin de croix du nain. Ce conte
prend souvent une tonalité fantastique :
Les événements se déroulent dans un
lieu où s'affrontent les éléments vent,
eau, terre, ciel . C'est un bout du monde (p113) . Un
huis-clos plein de rites et de superstitions (p21), le lieu
de la "morrina"
3) Les interprétations de ce conte:
Interprétation 1:
Le récit peut être considéré
comme une histoire ayant pour but d'illustrer que "l'habit
ne fait pas le moine" que "la bêtise humaine tue
l'innocence" , que "la laideur est un handicap à la
vie sociale", que "les superstitions sont dangereuses".
Auquel cas, La Guitare est un exemple narratif illustrant
une idée : une parabole.
Interprétation 2
La monstruosité du main est une projection de tous
ceux qui ne se sont pas gâtés par le destin et
qui sentent sur eux le poids d'une injustice. (p125) Il y
aurait d'ailleurs une triple injustice:
- celle qui est symbolisée par la plaie purulente
sur le sexe du père et qui représenterait la
tare héréditaire, génétique,
- celle qui est symbolisée par la balafre rouge:
c'est la tare acquise par la difficulté à se
socialiser pour assouvir sa sexualité et sa
sensualité "j'avais un cur et un sexe"
- celle qui accuse les Dieux de l'avoir fait
naître: il est porteur de la Mort.
Le récit est une parabole qui montre qu'on ne peut
aller à l'encontre d'une prédestination, qu'il
n'y a pas de liberté: le suicide est la seule
solution après une lutte vaine. Il dénie
l'existence d'un Dieu d'amour et de justice (p24). "On ne
peut expliquer l'homme que par l'enfant"(p22)
Interprétation 3
L'uvre signifie que nous sommes condamnés
à vivre sous le regard des autres et, de ce fait,
condamnés à une conformité d'apparence.
Celui qui est différent ne peut faire accepter ses
similitudes internes: il est condamné à la
solitude physique (p20), et psychologique (p42) et (p49) .
On retrouve idée de Sartre: "l'enfer, c'est les
autres".
Il est condamné à jouer le rôle qui
correspond à son physique.(p56) "Je me mis à
jouer le rôle qu'ils voulaient que je jouasse"
Gaixa a accepté l'exclusion. Elle vit en recluse.
Elle déconseille totalement au Nain d'essayer de
pactiser avec les villageois (p47) "Quand on n'est pas
pareil aux autres..."
Interprétation 4
La gibbosité et le nanisme sont une
métaphore de la différence: (p46) "Tous les
malheureux se ressemblent". C'est "Chacun sa chimère"
de Baudelaire. C'est "Le Corbac aux baskets" de Fred. Chaque
individu est unique, donc différent, donc
incompris.
Soit le nain est l'adolescent qui se sent
différent est cherche en vain à
intégrer le groupe social en sauvegardant sa
différence. C'est "Le Complexe du Homard" de F
Dolto.
Soit le nain est l'Artiste au sens où il est celui
qui ressent et qui cherche à dire qu'il est le
frère des autres. C'est sur cette
interprétation que revient Castillo dans la postface
(p149) "Tous nous cognons nos fronts contre les murs du
langage". Mais il y revient pour inverser sa position:
(p147) "Chaque homme peut devenir ton frère pour peu
que tu le veuilles" Il y a un profond message d'espoir: le
Graal existe (p146). Mais celui qui veut atteindre le Graal
doit accepter la mort. L'alternative est très claire
(p149): celui qui veut marcher avec la foule, ne doit pas
chercher à affirmer son individualité et doit
rester sage. A l'inverse s'il décide de s'engager
dans l'Art, il est le Nain et aura son destin car celui qui
parle annonce un monde différent incompatible avec la
médiocrité quotidienne. (p150)
5) Interprétation onirique et psychanalytique
Il s'agirait de l'écriture d'un rêve.
La Galice est un lieu d'affrontement entre les forces
positives du Bien et les forces négatives du Mal.
Tout s'y rencontre et s'y cogne: le vent, la mer, la terre.
C'est un déguisement des tempêtes
intérieures de l'adolescence. L'adolescent est en
conflit avec lui-même et avec le monde. Il faut qu'il
se situe au milieu des forces contradictoires qui l'animent.
Le besoin d'intégrer le groupe social à cause
de ses puisions affectives et sexuelles, s'oppose à
son envie de le fuir. Le Nain quitte l'ombre: "va
voir"(p51). La guitare, c'est la pureté, la
limpidité à laquelle il aspire; la mer c'est
le "grand bleu". Le dialogue entre le narrateur-personne est
le lecteur est en fait un monologue intérieur avec la
conscience. Castillo a écrit cette uvre
à la fin de son adolescence: il a exprimé le
trouble qu'il avait ressenti.
Le rêveur donnant libre cours à son
imagination révèle paradoxalement les
profondeurs de son inconscient, (ce qu'il y a de plus vrai
en lui ) et exprime sous une forme déguisée ce
qui l'obsède: Castillo parle de "cri" p13 "La Guitare
c'est un cri" et d'histoire qui le "hantait" p13. Les
surréalistes, convaincus par la psychanalyse, diront
: "Rien n'est plus vrai que nos rêves" Breton.
Castillo affirme même que p12 "l'artiste rêve
les yeux grand-ouverts et donne une forme à ses
songes. Il n'invente rien". Enfin le fait que Castillo ait
tenté de se détacher de cette uvre
impudique ( p13 il parle de "défaillance") pourrait
être la preuve qu'il a compris que cette uvre en
dit long sur lui, ou en tout cas dit quelque chose qu'il ne
pense plus mais qu'il a pensé. D'ailleurs la relation
entre le narrateur et l'auteur était soulignée
dans l'avant propos p13/14 . Et c'est de cette similitude
que Castillo se défend dans la postface p141. La mise
à nue de lui-même paraît importante.
6)Conclusion
L'intérêt c'est de laisser l'uvre
ouverte aux préoccupations de chacun.
Le thème du
Noir
La couleur noire est partout présente soit de
manière réelle: il y a des choses noires, soit
de manière suggérée par tout ce qui
l'évoque. D'où l'approche suivante:
1) Les choses noires
Les habits :
p32 Gaixa " toujours vêtue de noir" p41 le Nain
"elle me fit endosser un costume noir" p106 les villageois
ont "des vestes noires" p19 "des vieilles en noir" Les capes
sont noires (p120)
Les cheveux
p27 la mère est "brune" p31 Gaixa est
"grisonnante"
Leur sang est noir
p98 Gaixa a du "sang noir" sur les tempes
Le paysage
(p63) de gros nuages noirs
(p84) le ciel gris
La vie est essentiellement nocturne
( P30) "nous ne sortions que le soir, p39 "cette
nuit-là Gaixa m'emmena", p24 "il est tard, la nuit
tombe"
Le Nain vit enfermé dans la pénombre,
claustré: p30 "je fus emmené au second
étage" p32 "elle vivait retranchée" p33 nous
vivions ainsi, chacun recroquevillé sur
soi-même"
2) Ce qui évoque le noir
Le climat
La Galice est un pays de brume, de brouillard, de pluie :
P21, 27, 32, 36, 49, 50, 51, 57, 62, 73, 84, 87, 88, 89, 94,
97,100,136
La région
Le lieu a l'air d'un "trou", d'un univers
borné
L'humeur
Tout est placé sous le signe de la "morrina',
terme qui connote la tristesse la déprime et la mort:
P21 "la morrina" p21 "le son triste de la gaita"
La solitude et l'ennui: p 21, 42 ,61, 90,1 01
La misère (p18)
L'obscurantisme des villageois
C'est le pays de la magie noire, de la sorcellerie, des
rites p 31, 38, 48, 84, 97,1 36
p 84 Gaixa est accusée de vampirisme ; (p 133) le
nain passe pour le diable
La présence de la mort
Elle ouvre le récit et le ferme P 24 "je vais
mourir" et il meurt à la fin. Elle le ponctue : Mort
de la mère, du père, de Gaixa, de Linda mais
aussi morts symboliques de l'espoir, de la
générosité, de la communication
humaine.
Conclusion
Ce noir donne au récit l'air d'un cauchemar.
L'humeur sombre du narrateur se répercute sur les
êtres et les choses et ne fait ressusciter de sa
mémoire que les points les plus noirs. A bien des
égards cet univers ressemble à l'univers
baudelairien, celui du spleen. On note que le noir s'estompe
entre les pages 104 et 135 et entre les pages 65 et 83:
c'est les deux périodes d'éclaircie psychique,
la période avec Jaïro et la période de
préparation de la Fête des Eaux.
Les superstitions
Une atmosphère de superstition flotte sur tout le
récit. La Guitare c'est une uvre de l'ombre, du
brouillard, de l'obscurantisme. La Galice est un lieu
fantastique de par sa réalité
géographique: un pays d'affrontement entre la terre,
l'océan et le ciel; un pays de tempête ." le
climat rude aide à la superstition" écrit le
Nain (p86). La côte est particulièrement
déchiquetée(p114).
Elle l'est aussi de par sa réalité humaine:
c'est un pays de tradition et de folklore qui accorde une
large place au Surnaturel, qu'il soit chrétien ou
païen. C'est un pays "surchargé de symboles"
écrit le Nain (p121)
Les superstitions se manifestent de plusieurs
manières:
a) L'animisme
La mer est un personnage: "Gaixa et moi nous en parlions
comme d'un être humain"(p34). Le Nain en fait une
divinité pour laquelle il est prêt "pour elle
et sur elle à mourir d'amour" (p65) Elle est parfois
en rut (p32)
La gaita n'est pas un simple instrument de musique c'est
"un être vivant" (p35) qui sait parler, consoler,
réprimander, pleurer.
Le ciel pleure: cette expression dépasse la simple
métaphore car "la terre est mouillée des
pleurs du ciel (p49)
La guitare est un être vivant: celle de Jaïro
est " brune avec des cheveux blonds" (p73) et a un
prénom féminin : Linda.
b) L ' exorcisme
On fait le signe de croix pour exorciser le
démon:
"les gens se signaient en passant devant la
fenêtre" de la maison où est né le
monstre (p30) . On retrouve ce même geste lors de
l'apparition du monstre à la Fête des Eaux
(p129)
On touche la bosse du nain (p38)
c) Les sacrifices
Une servante implore la pitié et hurle qu'elle a
tué des chats et mangé leur cur pour
être "initiée" (p31)
Pour calmer la tempête et chasser les
malédictions les domestiques "avaient tué une
poule"(p27)
Pour la Fête des Eaux on fait "l'offrande des
fleurs" (p137). On utilise des potions miraculeuses.
Pour guérir la mère du nain qui agonise, la
guérisseuse "va au cimetière déterrer
un os" (p27)
d) Les pouvoirs occultes
Les paroles magiques sont fréquentes
Gaixa "marmonnent des phrases incompréhensibles"
(p31) ou " maudit" (p54). Le nain prononce également
des formules de malédiction (p135)
La guitare est un objets magique " on peut tout faire
avec elle... guérir les malades, tuer les
bien-portants, sauver les pêcheurs" (p76). Elle a des
"sortilèges"(p84)
Les joueurs de guitare sont "comme les Saints, au dessus
des médecins et des guérisseurs" (p77)
Gaixa passe pour une "sorcière"( p38) (p31). Elle
n'aura pas de sépulture chrétienne à
cause de "pratiques païennes ignobles"(p99)
Le Nain passe pour un sorcier (p54, 61). On le suspecte
de "créer le brouillard" pour s'y cacher (p97) ou de
pouvoir se rendre invisible. On croit qu'il est un vampire
d'après les incisions qu'il pratique sur les bras des
femmes (p54) et que sa musique est inspirée par le
diable (pl33). jeter le mauvais sort est une pratique
courante: le Nain donne le mauvais il (p136) et
provoque la noyade d'un garçon (p105)
Jaïro est suspecté d'être un sorcier
venu initier le Nain à des pratiques nouvelles
(p97)
e) Les légendes
Une légende s'invente lors de la mort de Gaixa "on
raconte qu'elle allait la nuit déterrer des cadavres,
voler les ossements et que Dieu aurait fait pleuvoir des
pierres sur sa tête" (p98)
On pense que de rapports sexuels avec le maître
pourrait naître un bel enfant (p25)
Gaixa prétend que les marins ne reviendront pas
car " les Vieilles sont fardées"(p32) et que si la
mer est en rut c'est qu'elle réclame des victimes.
Elle explique la fumée sur la ria par la
présence des âmes des morts flottant sur les
rivages qu'ils ont aimés. (p50)
Le poids de ces croyances fait partie de l'humeur
générale; la morrina " qui est définie
comme " la nostalgie des au-delà" (p36)
Le Nain songe "aux fantômes et aux sorcières
qui se promènent et aspirent le sang des voyageurs "
(p52)
f) Les rites
La Fête des Eaux est un rituel
Les épouses des marins "implorent tour à
tour Dieu ou l'amuleto" (p115)
Sur le buffet de l'unique pièce dans laquelle
vivent les marins une photo de la Vierge côtoie
l'amuleto (p115)
Conclusion
Les superstitions font partie de la vie quotidienne
à tel point qu'elles peuvent devenir parfois de
simples réflexes. Elles sont enracinées dans
les consciences et capables de tout expliquer. Elles sont
vécues sans recul : le monde caché a autant
d'existence que le monde réel. Rien dans le
récit ne cherche à les combattre. Elles
coexistent avec le catholicisme.
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