La Guitare (collection POINTS R14)

Approche

Etude de la narration

Le personnage

Les lectures de l'œuvre

Le thème du Noir

Les superstitions

Approche

Cette œuvre intitulée La Guitare (avec une majuscule - que l'édition de référence ne reproduit pas - a été écrite en 1957 (la même année que Tanguy- et juste avant) par un romancier d'origine espagnole, Michel del Castillo né en 1933 à Madrid, d'un père français et d'une mère espagnole. Il vient en France à partir de 6 ans pour fuir la guerre civile. C'est la deuxième œuvre de cet écrivain: elle n'est pas mentionnée dans Lagarde et Michard (p 835) . Elle est dédicacée à deux amis et est précédée d'un avant propos dans lequel il souligne l'importance de cette œuvre qui est "le livre du désespoir absolu"(pl3). Une postface a été rajoutée à l'œuvre en 1973.

Castillo prétend hésiter à reconnaître ce récit et déclare qu'il appartient à son passé, qu'il a changé en profondeur (p1 39). Il utilise "fable" et "conte " pour désigner cette œuvre (p1 39). Il pose le problème de la relation entre le narrateur et l'auteur (pl41) . Mais c'est surtout le pessimisme de l'œuvre et celui de la citation en exergue "on ne veut jamais que son destin", qu'il tempère(pl49).

Il s'agit d'un récit : l'histoire d'une tranche de vie d'un personnage difforme, de sa conception à sa mort précoce (le main meurt sensiblement au même âge où Castillo écrit ) qui peut se résumer par cette citation : "un nain d'une laideur monstrueuse cherche - mais en vain - à atteindre le cœur de ses frères" (pl3). Le thème dominant est la difficulté d'exister due aux disgrâces physiques. C'est un narrateur qui s'adresse directement au lecteur par le biais d'un journal intime et même le prend à parti, I'agresse : les injonctions directes au lecteur sont très fréquentes. Le ton est violent, la tonalité tragique. Le narrateur a l'intention d'émouvoir le lecteur. Il parle de cri (p1 3) poussé avant de mourir (p24) .

Castillo appelle à l'indulgence pour avoir poussé ce cri et parle "de défaillance"(p 13)

Castillo a choisi d'écrire "cette histoire parce qu'elle (le) hantait et (qu'il) la trouvait significative (p 1 3), il affirme une intention didactique: "montrer qu'il existe des hommes qui sont les victimes du destin" (pl3) Mais le nain dit "que ce n'est pas un récit " (p23) qu'il demande "l'attention et l'effort " que l'œuvre est une totale confession "je vais tout te dire " et qu'elle est difficile " Tu ne me liras jamais comme je voudrais "(p1 8) mais aussi c'est peut-être l'histoire de chacun de nous ("elle aurait pu être tienne, elle l'est peut-être" (pl35) )

Il s'agit donc de comprendre ce qui explique toutes ces contradictions .

Étude de la narration

1 / Le présent du narrateur

Il s'agit d'une narration intercalée; le présent de l'écriture (instant avant la mort) est intercalé avec passé des faits, d'où l'alternance des temps de l'indicatif : présent, imparfait , passé simple (p17 "vois-tu la Galice, maintenant?) (Mon père était riche p25) (je naquis neuf mois après p30).

Mais il s'agit aussi par moment d'une narration simultanée: le présent des faits étant simultané avec le moment de l'écriture (Il est tard. La nuit tombe p24) (présent ponctuel) (p18 "Les habitants de notre région sont très pauvres. Cela t'étonne peut-être " ou ( p19 "les vaches ruminent") (présent éternel). Le mélange de ces deux types de narration est caractéristique du journal intime et du dialogue.

2 / La focalisation

La focalisation est interne; les faits sont perçus à travers le narrateur de façon tout à fait subjective. Il y a une totale projection de l'état d'âme du personnage sur son environnement.

3 / La logique narrative

La narration est chronologique: les événements sont racontés dans l'ordre logique de leur déroulement mais la narration est précédée d'un préambule: le chapitre 1 qui permet de situer le personnage, le lieu de l'action. Le lieu de l'action est présenté de manière très précise, avec un réalisme documentaire marqué, d'où la présence de nombreux toponymes générant le pittoresque.

L'époque est définie de manière indirecte par l'âge du narrateur au moment du récit; âge indiqué indirectement ou directement dans le récit (p30 "tout petit enfant", p33 "douze ans, p36 "quinze ans" " p 41 "dix-huit ans" (mort du père) p41 " l'automne " de la même année, p53 " cinq mois" à l'hôpital de Vigo, p63 "j'avais atteint ma vingtième année"( rencontre avec Jaïro), p80 "une année passe vite" (l'année passée avec Jaïro : donc le nain a 21 ans), p89 "l'automne s'écoula", p98 " un peu avant Noël" ( mort de Gaixa) ( p102 début de l'écriture du récit), p104 " l'hiver", p108 " le printemps arriva" p109 "à vingt et un ans", p113 "le jour de la fête des eaux", (p91 "au mois de mai") il va avoir 22 ans. Il est né en septembre. p136 " depuis un an ma guitare est morte" donc il va avoir 23 ans; c'est juillet 56. Donc (56 -23 = 33).

Remarquons que M. Castillo est né le 2 août 33

Il est également fait allusion au téléphone(p46) et à "la vitre d'une portière" (de coche) (p64) et à un poste de T.S.F. (p59)

4 / Les variations de vitesse narrative

Le récit commence à la page 25 . Globalement on découvre que la durée du récit est de:

18 ans de la page 25 à 43 = 18 pages: c'est le chapitre 2

2 ans de la page 44 à 63 = 19 pages: c'est quasiment le chapitre 3

1 an de la page 63 à 80 = 17 pages: ce sont les chapitres 4 et 5

1 an de la page 80 à 135 = 55 pages: ce sont les chapitres 6,7,8,9

1 an pour la page 136 = 1 page

 

L'analyse montre une accélération narrative sur les 18 premières années (jusqu'à la mort du père et la prise en charge du domaine) et sur la dernière année ( année qui suit la destruction de Linda).

A l'inverse on note à partir de la rencontre avec Jaïro, jour de la découverte de la mer, un ralentissement très marqué et qui se fait en deux temps: l'un sur l'année passée avec Jaïro (p63 à 80), l'autre sur l'année qui suit le départ de Jaïro et qui correspond à la préparation de la Fête des Eaux ( p80 à 135).

Arithmétiquement on constate des écarts chiffrés très importants

18 pages /18 ans = 1

19 pages / 2 ans = 9,5

17 pages/1 an =17

55 pages / 1 an = 55

1 page / 1 an =1

L e rapport des variations est de l'ordre de 1 à 55 . Il y a une rupture nette dans le récit au moment de la rencontre avec Jaïro que l'on peut considérer comme l'actant de déséquilibre d'une situation initiale et le début proprement dit de l'histoire, ce que souligne d'ailleurs le titre de l'œuvre qui met l'accent sur la guitare.

De plus il est à noter qu'un certain nombre de journées occupe un place privilégiée dans le récit et sont marquées par des ralentissements narratifs plus ou moins importants: la répartition de ces instants grossis est signalée par des indicateurs temporels: "le jour" (p30), "un jour " (p31)) (p33) (p61)ou "un soir"(p50) ou "ce jour" (p41)(p81) ou "un matin"(p63)(p98) ou " la Fête des Eaux" (p118).

Ces journées mémorables correspondent à la mort de la mère, du père et de Gaixa, à la séparation avec Jaïro et à toutes les rencontres du nain avec le monde.

- La première rencontre fortuite a lieu (p31) avec une servante de la maison.

- Le premier contact officiel avec le monde a lieu le jour de la mort du père et de ses 18 ans (p41): elle se réduit à une descente au "premier étage". C'est le jour où il prend conscience de sa laideur dans le regard des autres

- Un contact a lieu à distance du haut d'une fenêtre (p46): c'est le jour où il annonce aux villageois qu'il leur donne terre et maison.

- Un autre contact est constitué de quelques sorties au grand jour qui sont accompagnées d'insultes et de jets de pierres et qui entraîne le résolution définitive de ne plus sortir (p49)

- Un autre contact a lieu la même année, c'est le jour où il décide "d'aller voir" (p51), c'est le jour où il va être défiguré par l'eau bouillante et devenir "vraiment méchant".

- Une autre rencontre est fortuite : elle a lieu lorsqu'il a 20 ans et qu'il revient de la ria (p61): c'est le jour où il est lapidé. Cette épreuve le conduit à décider de quitter Gaixa pour réaliser son rêve: aller voir la mer.

Ce contact du nain avec le monde (p68) ne ressemble pas aux précédents: d'une part il n'y a contact qu'avec une seule personne: Jaïro ; d'autre part cette rencontre est le début d'une relation humaine et fructueuse. La rencontre avec Jaïro est exactement placée au centre du récit .

- Un contact est longuement préparé pendant deux ans: c'est la Fête des Eaux. Il se solde par un échec et par la mort de Linda (p134).

- Le dernier contact est volontaire et désespéré: le nain se rend au cimetière pour déterrer un cadavre: il sait qu'il y est attendu et qu'il sera lapidé et tué.

La narration reproduit le fonctionnement même de la mémoire laissant des "trous" liés à l'ordinaire et mettant en évidence les traumatismes du passé.

5 / Le schéma des tensions

p29 naissance sous le signe d'une MST (Maladie Sexuellement Transmissible) génératrice de malformations sur l'embryon.

p30 orphelin de mère vers 3 ans.

p31 premier rejets social avant 12 ans.

p36 orphelin de père à 18 ans

p46 statut de maître bafoué(Quasimodo)

p50 défiguré à 19 ans

p54 malédiction publique et lapidation( A mort !) (riposte par la méchanceté)

p61 lapidation à 20 ans et décision de partir voir la mer

p63 départ pour la mer

p68 rencontre avec Jaïro

p81 Linda est maîtrisée (21 ans)

p90 espoir de participer à la fête

p134 destruction de Linda

p136 mort du héros

Le personnage et son évolution

 

Ce conte est essentiellement constitué par le récit rétrospectif et chronologique de la vie du héros par le héros lui-même, de façon accélérée de -9 mois à 18 ans, puis de façon plus détaillée de 18 à 22 ans et enfin de manière presque elliptique de 22 à 23 ans.

C'est donc sinon la vie d'un adolescent celle d'un tout jeune homme, qui se termine par sa mort.

1) Identité sociale du personnage

Aucun patronyme, aucun prénom. Le personnage est nommé par ces surnoms

(48)(p54)"Quasimodo"' ou (p30) " le monstre" ou par l'une de ces disgrâces physiques: le bossu, le nain, le boiteux ou "pauvre enfant" (p31) et (p43) par son père et par le curé ou "mon bonhomme" (p33)par son père. Lui, se nomme "le nain-qui-fait-peur" (p64). Jaïro l'appelle par son prénom mais on ne sait lequel (75)

C'est un fils de riche: son père possède une "vingtaine de fermes et une centaine de barques de pêche", "une fabrique de conserves" (p27). Le mobilier de la maison et de la bibliothèque attestent de cette aisance matérielle (p44)

Il appartient à un milieu croyant et religieux . Son père "était croyant" mais s'il est présenté comme un bon maître généreux il n'empêche qu'il "faisait l'amour" avec "les filles de la ferme"(p25), qu'il avait fait un mariage d'argent: "ils avaient échangé nom contre fortune"(p28), qu'il avait été infidèle, volage et souvent absent (en voyage) (p29) .

Sa mère aussi est "très pieuse"(p27). Elle est issue de "la grande aristocratie" (p29) et a vécu soumise à son mari qu'elle a eu le tort d'aimer. Elle a "noyé son chagrin dans la prière et les bonnes œuvres"(p29)

Le héros naît d'une unique relation sexuelle: "le premier et le dernier cadeau" (p29) du père.

Il est confié à une nourrice et délaissé par sa mère qui meurt lorsqu'il a deux ans.(p30)

2) Identité physique

C'est une créature difforme. difforme.

Il mesure un mètre trente (p60) et (p67), il est bossu (p60), il a les jambes courtes et enflées (p60), n'a pas de dents (p60), bégaie, boite, a le nez et la bouche de travers (p39), les "mains difformes" (p67)

Il se dira "hideux", incapable de se regarder dans un miroir surtout après avoir été défiguré par une balafre rouge au visage (p53)

3) Identité psychologique

Le récit peut se décomposer en séquences selon les modifications du comportement et du caractère du héros:

Séquence 1 de 0 à 18 ans : " Attendre et espérer" (p36)

C'est un sentiment de frustration psychologique douloureuse qui anime le Nain: Il est tenu à l'écart, claustré mais ses attitudes sont significatives d'un espoir en l'avenir: il colle son nez aux vitres(p30) " regarde au loin"(p34). Il "rêve de liberté" (p34) et souffre en silence. Il compense sa réclusion par une grande activité onirique et par la lecture(p33). Il croit "à la bonté des hommes"(p35). Il garde l'espoir de s'expliquer et de montrer qu'il a un cœur.(p36) .

Séquence 2 à 18 ans : L'exclu

Le changement de séquence est dû à un événement majeur: la mort du père qui a pour conséquence de faire de lui le "maître" et d'imposer les premières confrontations avec l'extérieur.

Il prend conscience de sa différence (p41) et découvre le sentiment de solitude lié a l'exclusion et le poids du regard humain: "c'est par les autres que j'ai compris que j'existais. C'est aussi par les autres que j'ai compris que j'étais totalement, absolument, irrémédiablement seul" (p42)

Il découvre que son infirmité lui enlève toute possibilité d'être obéi et respecté en tant que maître (p45).

Il cherche à expliquer la situation, agit raisonnablement avec pitié et indulgence: "je leur parlai calmement, je les rassurai" , "j'essayais de leur faire comprendre que, pas plus qu'eux de leur pauvreté, je n'étais pas plus responsable de ma laideur( p47)

Il tente d'acheter l'affection des métayers (p47) en donnant leur maison. Il se rend à l'évidence de l'échec de toutes ses tentatives de bonne entente.

Séquence 3 à 1 8 ans: l'automne : La frustration physique et le silence.

La sexualité s'éveille: elle se manifeste par un regard nouveau sur le monde extérieur: "il épie le jeu des nuages sur l'herbe mouillée" (p49). Il demande que la fenêtre soit ouverte. Il "soulage ses désirs" (50) par l'onanisme. Il prend conscience d'un double besoin de contact "j'avais un cœur et un sexe" (p50).

C'est l'échec d'une escapade, la brûlure qui en résulte et le séjour de cinq mois à l'hôpital qui déclenche la séquence suivante.

Séquence 4 à 18 ans et demi : La méchanceté "c'est ce jour-là que je devins méchant" (p54)

Il contraint les métayers à restituer leurs maisons pour s'acquitter de leurs dettes. Il les prive de travail. Il achète les femmes et les soumet à ses désirs.

Il découvre la fascination qu'il peut exercer et la double réaction d'attrait et de répulsion : "elles rêvent toutes d'appartenir au monstre" (p55); elles sont maintenant toutes à ses pieds.

Il entre dans la peau du monstre, il devient celui qu'on croyait qu'il était: "je me mis à jouer le rôle que les gens attendaient" (p56) . Il devient vampire. Il alimente sa légende.

Séquence 5 entre 19 et 20 ans : Lassitude et Vérité profonde

Une insatisfaction et une lassitude gagnent le Nain, ceci est dû au décalage entre son être profond et son masque social. "Je vivais dans l'ennui. Ma vie s'écoulait dans l'univers factice où mes proches m'avaient enfermé" (61). Le récit d'un rêve récurrent témoigne de ce décalage et d'un besoin de reconnaissance, de beauté et d'amour (p59): un bonheur symétriquement opposé à la réalité. Une nouvelle lapidation va déclencher la séquence suivante.

Séquence 6 à 20 ans

C'est la fuite: il réalise un fantasme de jeunesse: voir la mer ce qui est pour lui une manière de trouver "le repos" (p65). Il a dominé son attachement à Gaixa au point d'arriver à se séparer d'elle.

C'est au cours de ce séjour qu'il rencontre Jaïro et retrouve une raison d'espérer.

Séquence 7 de 20 à 21 ans : Travail et espoir

Il est devenu "quelque chose de nouveau" (p87). Il se définit par l'expression : "un Rêveur": c'est un homme qui a des pouvoirs. Un compromis entre les dieux, les hommes et les artistes.

"Je travaillais" (p76) " J'étais sûr que la guitare m'aiderait à convaincre les autres" (p78).

Il a l'impression de jouer sa dernière carte: "Il me fallait réussir. Linda était mon dernier espoir" (p79)

Séquence 8 : A l'automne de ses 21 ans : Travail, espoir, appréhension

Le départ de Jaïro a laissé un "vide " qu'il lui est "impossible de combler". Toutefois le travail et l'espoir sont toujours présents :"Jour et nuit, je travaillais... les larmes aux yeux, soutenu par l'espoir de mon succès.(p90)"

Son ennui et ses moments d'espoir s'expriment par la musique. (p90).

L'inquiétude grandit d'autant plus que se rapproche la date fatidique de la Fête des Eaux : ce nouveau contact, le troisième important pour lui (p88)

Les sentiments sont poussés à leur paroxysme: "il m'arrivait de sourire de bonheur ou de crisper mes muscles en une tension surnaturelle" (p90)

Même la musique est soumise à la fureur: " c'était avec une sorte de rage méprisante. . . "(p90)

Il se prépare à affronter la Fête des Eaux comme un combat dont il veut la victoire (p91)

Il découvre Gaixa: "elle m'apparaissait tout à coup pour ce qu'elle était: un être humain" (96), "une complice" (p97) mais cette découverte est concomitante avec la mort de Gaixa.

Séquence 9 : Après Noël : Solitude totale et rage

Sans Gaixa, l'impression de solitude tourne à l'obsession (p101)

La méchanceté redouble :(p103) . Elle devient pure cruauté . La violence décuple de part et d'autre (p103).

Il devient jaloux de la joie des autres (p104). Il ressent l'envie de tuer (p105)

Son cœur est fermé à toute générosité (p104)

Il n'a plus de relation physique avec les femmes "qui ne l'intéressent plus" (p1 06)

Il est à nouveau le monstre mais sous une forme plus perverse. Il commence à écrire son histoire.

Séquence 10 au printemps : L'embellie et l'euphorie

"le temps semblait propice à tous les renouveaux et à tous les espoirs" (p109)

Il "découvre l'existence" (p109)

Il oublie sa laideur, le sentiment de solitude disparaît (p110).

Il élucubre des projets de générosité.

Il cesse de persécuter, de "terrifier filles et garçons" (p111)

Séquence 11 le jour J : Lassitude et dernier degré de la douleur

L'instant tant attendu, celui du défi et de la victoire, vécu maintes fois par l'imagination, est, dans la réalité du vécu, totalement différent .

"Or ce que je ressentais c'était ma lassitude. Je n'étais ni anxieux ni impatient, ni effrayé. Simplement fatigué"(p123)

Un sentiment d'inutilité a gagné le Nain " il n'est pas de message sauveur" (p1 24)

Se résigner paraît alors une solution: "N'aurais-je pas mieux fait de vivre en acceptant?" (p124)

Il comprend "qu'on n'échappe jamais à son destin" (p126)

Séquence 12 de 22 à 23 ans: après l'échec L'agonie

Le pire s'étant produit: la destruction de Linda, seule hypothèse non envisagée, parce que insoutenable. Il n'y a plus d'espoir de vie possible. Le Nain attend la mort. Il est redevenu le monstre. Il termine d'écrire son récit.

Séquence 13 La mort

Il marche au devant de la mort avec l'espoir de mourir plus défiguré qu'il ne l'est.

Conclusion

Une évolution psychologique intéressante à analyser à cause de la logique d'enchaînement et de la diversité des états. L'accélération des changements est très marquée à partir des dix-huit ans et s'accroît encore à partir du voyage à la mer. Cette accélération est inversement proportionnelle au ralenti narratif.

 

Les lectures de l'œuvre

1) Ambiguïté

L'œuvre n'est pas un roman, a la longueur d'une nouvelle mais n'en a pas la focalisation, n'est pas un testament autobiographique: Castillo est loin d'être laid et nain.

C'est en apparence un journal intime dans lequel le narrateur-personne écrit à un lecteur p18" mauvais lecteur" ce qu'il a envie de dire p23 " Maintenant écoute-moi bien, j'ai à te parler" . D'ailleurs le texte accumule les indices de fonction interpellative comme si le destinataire était présent p19 "Cela t'étonne ?" p17 " Vois-tu la Galice, maintenant" Le narrateur affirme la réalité de son existence p112 et se défend d'être pris pour un personnage de conte.

2) Premières interprétations

a) Intention d'émouvoir : L'histoire tragique et émouvante d'un indigent massacré par la cruauté des gens.

b) Intention d'instruire : Un document historico-social sur La Galice dans les années 30: société encore moyenâgeuse à bien des égards. Le vocabulaire est souvent pittoresque " la gaita (p21), les rias (p17), la morrina (p21), ses superstitions et ses rites.

Ces lectures ne semblent pas satisfaisantes

L'œuvre a l'air d'un conte : d'ailleurs c'est l'un des termes employé par Castillo pour la nommer p139 "questionner ce conte". Il emploie également le terme de "fable". Ces deux appellations ont en commun l'idée d'invention et l'idée de message, de portée philosophique, de sens caché, symbolique.

Le conte est proche du rêve.

De plus un certain nombre d'éléments apparentent cette œuvre à un conte :

- Les personnages pourraient évoluer dans un conte:

Le héros est un gnome dans la tradition de Peau d'âne, de Quasimodo, E.T, des Sept petits nains: il accumule toutes les disgrâces: édenté (p103), bègue, boiteux, nez et bouche de travers, syphilitique, nain, balafré (p39), bossu. Il deviendra un monstre pervers, violeur,vampire. Il n'a pas de nom mais un surnom . Il est orphelin. C'est un enfant. Il a une nourrice( p30). Gaixa est une sorcière taxée de pouvoirs occultes: elle maudit (p38) elle a des yeux de chat (p32). Jaïro appartient aux gens du voyage: c'est un gitan (p68), sa guitare est un instrument magique.

- L'univers est manichéen. Les bons s'y opposent aux mauvais.

- Il y a un objets magique. La guitare fait fonction de baguette magique. Jaïro initie le Nain. Le Nain pensait charmer les villageois.(p76, 77). La guitare porte un nom qui est symbolique: Linda c'est la clarté, la pureté, la propreté. Elle est assimilable à une personne (p70).

- Le schéma des tensions est parallèle à celui d'un conte (suite d'espoirs et de désespoirs).

- Il y a en outre des éléments conventionnels des contes : le chat (p45), la marmite (p52), la forêt, la brume et le brouillard, la lune (p39), les ténèbres, le cimetière, la lande (p124)

Il y a un parcours symbolique : la marche vers la mer, la marche vers les hommes, le chemin de croix du nain. Ce conte prend souvent une tonalité fantastique :

Les événements se déroulent dans un lieu où s'affrontent les éléments vent, eau, terre, ciel . C'est un bout du monde (p113) . Un huis-clos plein de rites et de superstitions (p21), le lieu de la "morrina"

3) Les interprétations de ce conte:

Interprétation 1:

Le récit peut être considéré comme une histoire ayant pour but d'illustrer que "l'habit ne fait pas le moine" que "la bêtise humaine tue l'innocence" , que "la laideur est un handicap à la vie sociale", que "les superstitions sont dangereuses". Auquel cas, La Guitare est un exemple narratif illustrant une idée : une parabole.

Interprétation 2

La monstruosité du main est une projection de tous ceux qui ne se sont pas gâtés par le destin et qui sentent sur eux le poids d'une injustice. (p125) Il y aurait d'ailleurs une triple injustice:

- celle qui est symbolisée par la plaie purulente sur le sexe du père et qui représenterait la tare héréditaire, génétique,

- celle qui est symbolisée par la balafre rouge: c'est la tare acquise par la difficulté à se socialiser pour assouvir sa sexualité et sa sensualité "j'avais un cœur et un sexe"

- celle qui accuse les Dieux de l'avoir fait naître: il est porteur de la Mort.

Le récit est une parabole qui montre qu'on ne peut aller à l'encontre d'une prédestination, qu'il n'y a pas de liberté: le suicide est la seule solution après une lutte vaine. Il dénie l'existence d'un Dieu d'amour et de justice (p24). "On ne peut expliquer l'homme que par l'enfant"(p22)

Interprétation 3

L'œuvre signifie que nous sommes condamnés à vivre sous le regard des autres et, de ce fait, condamnés à une conformité d'apparence. Celui qui est différent ne peut faire accepter ses similitudes internes: il est condamné à la solitude physique (p20), et psychologique (p42) et (p49) . On retrouve idée de Sartre: "l'enfer, c'est les autres".

Il est condamné à jouer le rôle qui correspond à son physique.(p56) "Je me mis à jouer le rôle qu'ils voulaient que je jouasse"

Gaixa a accepté l'exclusion. Elle vit en recluse. Elle déconseille totalement au Nain d'essayer de pactiser avec les villageois (p47) "Quand on n'est pas pareil aux autres..."

Interprétation 4

La gibbosité et le nanisme sont une métaphore de la différence: (p46) "Tous les malheureux se ressemblent". C'est "Chacun sa chimère" de Baudelaire. C'est "Le Corbac aux baskets" de Fred. Chaque individu est unique, donc différent, donc incompris.

Soit le nain est l'adolescent qui se sent différent est cherche en vain à intégrer le groupe social en sauvegardant sa différence. C'est "Le Complexe du Homard" de F Dolto.

Soit le nain est l'Artiste au sens où il est celui qui ressent et qui cherche à dire qu'il est le frère des autres. C'est sur cette interprétation que revient Castillo dans la postface (p149) "Tous nous cognons nos fronts contre les murs du langage". Mais il y revient pour inverser sa position: (p147) "Chaque homme peut devenir ton frère pour peu que tu le veuilles" Il y a un profond message d'espoir: le Graal existe (p146). Mais celui qui veut atteindre le Graal doit accepter la mort. L'alternative est très claire (p149): celui qui veut marcher avec la foule, ne doit pas chercher à affirmer son individualité et doit rester sage. A l'inverse s'il décide de s'engager dans l'Art, il est le Nain et aura son destin car celui qui parle annonce un monde différent incompatible avec la médiocrité quotidienne. (p150)

5) Interprétation onirique et psychanalytique

Il s'agirait de l'écriture d'un rêve.

La Galice est un lieu d'affrontement entre les forces positives du Bien et les forces négatives du Mal. Tout s'y rencontre et s'y cogne: le vent, la mer, la terre. C'est un déguisement des tempêtes intérieures de l'adolescence. L'adolescent est en conflit avec lui-même et avec le monde. Il faut qu'il se situe au milieu des forces contradictoires qui l'animent. Le besoin d'intégrer le groupe social à cause de ses puisions affectives et sexuelles, s'oppose à son envie de le fuir. Le Nain quitte l'ombre: "va voir"(p51). La guitare, c'est la pureté, la limpidité à laquelle il aspire; la mer c'est le "grand bleu". Le dialogue entre le narrateur-personne est le lecteur est en fait un monologue intérieur avec la conscience. Castillo a écrit cette œuvre à la fin de son adolescence: il a exprimé le trouble qu'il avait ressenti.

Le rêveur donnant libre cours à son imagination révèle paradoxalement les profondeurs de son inconscient, (ce qu'il y a de plus vrai en lui ) et exprime sous une forme déguisée ce qui l'obsède: Castillo parle de "cri" p13 "La Guitare c'est un cri" et d'histoire qui le "hantait" p13. Les surréalistes, convaincus par la psychanalyse, diront : "Rien n'est plus vrai que nos rêves" Breton.

Castillo affirme même que p12 "l'artiste rêve les yeux grand-ouverts et donne une forme à ses songes. Il n'invente rien". Enfin le fait que Castillo ait tenté de se détacher de cette œuvre impudique ( p13 il parle de "défaillance") pourrait être la preuve qu'il a compris que cette œuvre en dit long sur lui, ou en tout cas dit quelque chose qu'il ne pense plus mais qu'il a pensé. D'ailleurs la relation entre le narrateur et l'auteur était soulignée dans l'avant propos p13/14 . Et c'est de cette similitude que Castillo se défend dans la postface p141. La mise à nue de lui-même paraît importante.

6)Conclusion

L'intérêt c'est de laisser l'œuvre ouverte aux préoccupations de chacun.

Le thème du Noir

La couleur noire est partout présente soit de manière réelle: il y a des choses noires, soit de manière suggérée par tout ce qui l'évoque. D'où l'approche suivante:

1) Les choses noires

Les habits :

p32 Gaixa " toujours vêtue de noir" p41 le Nain "elle me fit endosser un costume noir" p106 les villageois ont "des vestes noires" p19 "des vieilles en noir" Les capes sont noires (p120)

Les cheveux

p27 la mère est "brune" p31 Gaixa est "grisonnante"

Leur sang est noir

p98 Gaixa a du "sang noir" sur les tempes

Le paysage

(p63) de gros nuages noirs

(p84) le ciel gris

La vie est essentiellement nocturne

( P30) "nous ne sortions que le soir, p39 "cette nuit-là Gaixa m'emmena", p24 "il est tard, la nuit tombe"

Le Nain vit enfermé dans la pénombre, claustré: p30 "je fus emmené au second étage" p32 "elle vivait retranchée" p33 nous vivions ainsi, chacun recroquevillé sur soi-même"

2) Ce qui évoque le noir

Le climat

La Galice est un pays de brume, de brouillard, de pluie : P21, 27, 32, 36, 49, 50, 51, 57, 62, 73, 84, 87, 88, 89, 94, 97,100,136

La région

Le lieu a l'air d'un "trou", d'un univers borné

L'humeur

Tout est placé sous le signe de la "morrina', terme qui connote la tristesse la déprime et la mort: P21 "la morrina" p21 "le son triste de la gaita"

La solitude et l'ennui: p 21, 42 ,61, 90,1 01

La misère (p18)

L'obscurantisme des villageois

C'est le pays de la magie noire, de la sorcellerie, des rites p 31, 38, 48, 84, 97,1 36

p 84 Gaixa est accusée de vampirisme ; (p 133) le nain passe pour le diable

La présence de la mort

Elle ouvre le récit et le ferme P 24 "je vais mourir" et il meurt à la fin. Elle le ponctue : Mort de la mère, du père, de Gaixa, de Linda mais aussi morts symboliques de l'espoir, de la générosité, de la communication humaine.

Conclusion

Ce noir donne au récit l'air d'un cauchemar. L'humeur sombre du narrateur se répercute sur les êtres et les choses et ne fait ressusciter de sa mémoire que les points les plus noirs. A bien des égards cet univers ressemble à l'univers baudelairien, celui du spleen. On note que le noir s'estompe entre les pages 104 et 135 et entre les pages 65 et 83: c'est les deux périodes d'éclaircie psychique, la période avec Jaïro et la période de préparation de la Fête des Eaux.

 

Les superstitions

 

Une atmosphère de superstition flotte sur tout le récit. La Guitare c'est une œuvre de l'ombre, du brouillard, de l'obscurantisme. La Galice est un lieu fantastique de par sa réalité géographique: un pays d'affrontement entre la terre, l'océan et le ciel; un pays de tempête ." le climat rude aide à la superstition" écrit le Nain (p86). La côte est particulièrement déchiquetée(p114).

Elle l'est aussi de par sa réalité humaine: c'est un pays de tradition et de folklore qui accorde une large place au Surnaturel, qu'il soit chrétien ou païen. C'est un pays "surchargé de symboles" écrit le Nain (p121)

Les superstitions se manifestent de plusieurs manières:

a) L'animisme

La mer est un personnage: "Gaixa et moi nous en parlions comme d'un être humain"(p34). Le Nain en fait une divinité pour laquelle il est prêt "pour elle et sur elle à mourir d'amour" (p65) Elle est parfois en rut (p32)

La gaita n'est pas un simple instrument de musique c'est "un être vivant" (p35) qui sait parler, consoler, réprimander, pleurer.

Le ciel pleure: cette expression dépasse la simple métaphore car "la terre est mouillée des pleurs du ciel (p49)

La guitare est un être vivant: celle de Jaïro est " brune avec des cheveux blonds" (p73) et a un prénom féminin : Linda.

b) L ' exorcisme

On fait le signe de croix pour exorciser le démon:

"les gens se signaient en passant devant la fenêtre" de la maison où est né le monstre (p30) . On retrouve ce même geste lors de l'apparition du monstre à la Fête des Eaux (p129)

On touche la bosse du nain (p38)

c) Les sacrifices

Une servante implore la pitié et hurle qu'elle a tué des chats et mangé leur cœur pour être "initiée" (p31)

Pour calmer la tempête et chasser les malédictions les domestiques "avaient tué une poule"(p27)

Pour la Fête des Eaux on fait "l'offrande des fleurs" (p137). On utilise des potions miraculeuses.

Pour guérir la mère du nain qui agonise, la guérisseuse "va au cimetière déterrer un os" (p27)

d) Les pouvoirs occultes

Les paroles magiques sont fréquentes

Gaixa "marmonnent des phrases incompréhensibles" (p31) ou " maudit" (p54). Le nain prononce également des formules de malédiction (p135)

La guitare est un objets magique " on peut tout faire avec elle... guérir les malades, tuer les bien-portants, sauver les pêcheurs" (p76). Elle a des "sortilèges"(p84)

Les joueurs de guitare sont "comme les Saints, au dessus des médecins et des guérisseurs" (p77)

Gaixa passe pour une "sorcière"( p38) (p31). Elle n'aura pas de sépulture chrétienne à cause de "pratiques païennes ignobles"(p99)

Le Nain passe pour un sorcier (p54, 61). On le suspecte de "créer le brouillard" pour s'y cacher (p97) ou de pouvoir se rendre invisible. On croit qu'il est un vampire d'après les incisions qu'il pratique sur les bras des femmes (p54) et que sa musique est inspirée par le diable (pl33). jeter le mauvais sort est une pratique courante: le Nain donne le mauvais œil (p136) et provoque la noyade d'un garçon (p105)

Jaïro est suspecté d'être un sorcier venu initier le Nain à des pratiques nouvelles (p97)

 

e) Les légendes

Une légende s'invente lors de la mort de Gaixa "on raconte qu'elle allait la nuit déterrer des cadavres, voler les ossements et que Dieu aurait fait pleuvoir des pierres sur sa tête" (p98)

On pense que de rapports sexuels avec le maître pourrait naître un bel enfant (p25)

Gaixa prétend que les marins ne reviendront pas car " les Vieilles sont fardées"(p32) et que si la mer est en rut c'est qu'elle réclame des victimes. Elle explique la fumée sur la ria par la présence des âmes des morts flottant sur les rivages qu'ils ont aimés. (p50)

Le poids de ces croyances fait partie de l'humeur générale; la morrina " qui est définie comme " la nostalgie des au-delà" (p36)

Le Nain songe "aux fantômes et aux sorcières qui se promènent et aspirent le sang des voyageurs " (p52)

f) Les rites

La Fête des Eaux est un rituel

Les épouses des marins "implorent tour à tour Dieu ou l'amuleto" (p115)

Sur le buffet de l'unique pièce dans laquelle vivent les marins une photo de la Vierge côtoie l'amuleto (p115)

Conclusion

Les superstitions font partie de la vie quotidienne à tel point qu'elles peuvent devenir parfois de simples réflexes. Elles sont enracinées dans les consciences et capables de tout expliquer. Elles sont vécues sans recul : le monde caché a autant d'existence que le monde réel. Rien dans le récit ne cherche à les combattre. Elles coexistent avec le catholicisme.

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